Je disais à propos de "Love and Bruises" qu'il est des films qu'on a envie de voir sans savoir pourquoi. Après avoir vu les quinze premières secondes de la bande-annonce de "Bonsái", j'ai arrêté la vidéo, je me suis levé et je suis allé au cinéma regarder ce film chilien. Je sentais qu'il allait me plaire ; pour le coup, je ne me suis pas trompé.
"Bonsái" arbore une narration plutôt complexe : un jeune écrivain est embauché par un romancier très connu pour retranscrire sur ordinateur les cahiers de son nouveau livre, mais il est licencié quasi immédiatement. Pour faire bonne figure devant sa voisine, avec qui il entretient une relation sentimentale sans amour vrai, il rédige alors sa propre histoire, la faisant passer pour celle de l'écrivain célèbre. Cette histoire, il la puise dans la sienne : huit ans plus tôt, alors étudiant en littérature, il tombait amoureux d'une jeune femme qui partageait son goût des lettres et de la botanique. Le récit n'est donc pas simple, mais Jiménez parvient à le mener avec une grande aisance, et sans jamais perdre le spectateur.
Pourtant, les limites rapidement se brouillent entre la littérature et la réalité, le passé et le présent, la vérité et la fiction. Nous en sommes prévenus dès le début quand, sur des plans d'une esthétique sobre, colorée et délicieuse, la voix-off du protagoniste nous annonce de but-en-blanc la cruelle fin de l'histoire. Horrifiés, on a l'impression d'avoir ouvert par erreur le livre à la dernière page, se spoilant par inadvertance, et on a envie de fermer les yeux et de se boucher les oreilles, comme si cette révélation ne faisait pas encore partie intégrante de l'histoire. Mais il est trop tard, et nous le savons désormais : ce n'est pas la résolution qui comptera, mais le souvenir, le sentiment.
C'est en effet le sentiment qui prédomine à travers tout le film : à la manière d'un "Medianeras", qu'il n'est pas sans rappeler par une esthétique et une problématique fort sud-américaines, il présente une candeur et une innocence dans l'émotion qui rendent les personnages vivants et attachants. Natalia Galgani aide qui plus est à rendre Emilia intéressante, là où Diego Noguera parviendra au moins à souligner la maladresse de son personnage. Mais en quelques lignes de dialogues et en deux ou trois anecdotes, les protagonistes sont tracés avec clarté et subtilité. Désormais, ne reste qu'à dépeindre leurs états d'âme : là où les jeunes Julio et Emilia découvraient l'amour et la culture (dans tous les sens du terme), le Julio du présent vit le regret, la peur, la souffrance et le doute. C'est toujours en parallèle que sont contre-balancés les personnages à travers le temps. Ainsi, si l'on regrettera le manque d'approfondissement des personnages secondaires, on remarquera néanmoins l'évolution inverse de Barbara, qui passe de la colocataire frustrée et esseulée à la femme qui a eu le malheur d'avoir ce qu'elle espérait, ou celle de Blanca, qui s'émancipe finalement devant l'absence irréversible de réciprocité de ses sentiments. Le tout se fait en douceur, avec une lente nonchalance.
C'est ainsi que les thèmes se mélangent : la botanique devient l'amour, l'amour devient la littérature, la littérature devient la botanique... Le tout appuyé par une réalisation soignée, à la photographie saturée, entre la moiteur sale de Santiago et la pluie abondante de Valdivia. Si un léger snobisme pointe parfois le bout de son nez, notamment dans l'aspiration un brin prétentieuse à la Nouvelle Vague et à l'élitisme littéraire, on le remarque peu devant la vaste réflexion sur l'écriture qui est menée, similaire à celle sur l'architecture dans "Medianeras". Ici, les sillons du récit se réverbèrent dans de nombreux niveaux d'interprétation et de lecture, rendant le tout puissant et passionnant. Alors, à l'image des ratures de Julio sur ses cahiers bleus, l'écriture prend parfois des détours, floute des transitions, se découpe en parties maladroites, mais garde une richesse pleine d'émotion, de violence et de force, qui fait de ce film étrange une sorte de poésie.
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