jeudi 26 avril 2012

"38 témoins", Lucas Belvaux

Dans son nouveau long-métrage, le réalisateur belge Lucas Delvaux s'attache à adapter un livre, Est-ainsi que les femmes meurent de Didier Decoin, adaptant lui-même un fait divers où trente-huit témoins du meurtre d'une jeune femme n'apportent pas assistance à cette personne en danger et cachent cette impensable passivité à la police. Cela fait beaucoup d'adaptation, et l'on sait à quel point cette tâche est difficile : le résultat en est la preuve.


Tout tourne autour d'un couple. Lorsqu'elle revient d'un voyage professionnel, le quartier est bouleversé par l'assassinat qui a eu lieu la veille dans leur rue. Personne n'en a le souvenir. Le mari non plus, prétendant qu'il était en mer. Mais quand il admet à sa femme, puis à la police, qu'il a en fait tout entendu, mais a choisi de ne rien faire, les trente-sept autres témoins muets se retrouvent contraints d'ouvrir la bouche. Le thème est puissant, profond et captivant. Qu'est-ce qui conduirait à une telle conduite collective d'individus séparés, chacun bien au chaud chez soi, en train d'écouter quelqu'un se faire massacrer sous leurs fenêtres bourgeoises ? La prochaine interrogation qui en découle est juste là : en aurait-on fait autant à leur place ? Immédiatement, on voudrait répondre que non, choqué par cette passivité criminelle, mais alors que les témoins affichent leur peur, leur douleur, leurs regrets, la réponse paraît plus douteuse, contre toute attente. Les répercussions de cet acte - ou absence d'acte - sur la vie des habitants sont dépeintes avec tout le réalisme attendu.


C'est donc un bien intrigant fait divers qui est narré ici ; mais il peine à être plus que ça. Les personnages sont inexistants : d'une part, parce que Yvan Attal livre une performance navrante piquée de la catastrophique diction du pire des cabotins, tandis que Sophie Quinton échoue totalement à donner la moindre cohérence aux réactions de son personnage. Les autres sont parfaitement oubliables et oubliés, si ce n'est Nicole Garcia, froide et suprême. D'autre part, parce que les personnages ne sont pas construits ni épaissis : ils sont aussi frêles et flous que le nom d'un inconnu dans le journal. Leurs dialogues sont aussi peu crédibles que ridicules, et drainent tout réalisme de chaque situation. Les personnages n'ont ni origine, ni passé, ni psychologie. Leurs réactions sont régies par cette seule émotion qu'ils ressentent et expriment, comme des effigies figées, ils sont réduits à un seul affect - celui-là même dont parlerait le supposé article de journal dont ils seraient tirés. C'est d'ailleurs la manière, plutôt bien vue, dont le film se découpe : selon les supposées étapes du chagrin collectif dictées par les articles de journaux.


Mais le tout se produit avec tant d'artifices que rien ne tient debout : les décors intérieurs semblent tirés de théâtre de boulevard, contrastant violemment avec de majestueux plans d'extérieur, urbains et marins. De la même façon, la mise en scène maniérée s'oppose à une réalisation qui fait preuve d'une photographie maîtrisée, elle-même affublée de la même fixe froideur. Cet immobilisme serait pardonnable s'il ne se portait pas également à la réflexion, qui ne sera malheureusement jamais plus poussée. Les personnages ne font que débiter les questions que le spectateur se pose déjà face à cette atroce polémique, mais ne vont jamais plus loin, n'apportent jamais un essai de réponse, car ces fantômes ne peuvent pas s'engager à une opinion. C'est bien là ce qui signe au plus profond la nature de "38 Témoins" : ce film n'aura été que la représentation picturale d'un fait divers. Il n'apporte rien de plus, s'en tient aux faits, omet toute psychologie et toute profondeur, jamais ne juge ni ne s'engage. La démarche pourrait être intéressante si elle ne laissait pas l'unique impression que quitte à voir un fait divers, autant prendre trois minutes à le lire dans le journal plutôt que perdre presque deux heures à le voir se dérouler au ralenti sans jamais le creuser, dans un film somme toute ennuyeux.

dimanche 22 avril 2012

"2 Days in New York", Julie Delpy

Alors, ça y est, le blog est vieux : il a couvert deux films de la même réalisatrice. Après le décevant "Le Skylab", Julie Delpy revient avec la suite de son célèbre "2 Days In Paris", pour raconter la suite des aventures de Marion, Parisienne désormais expatriée dans la grande mégalopole américaine. A conseiller uniquement à ceux qui ont aimé le premier volet.


Fort heureusement, j'en faisais partie : "2 Days In Paris" rassemblait fraîcheur, humour, réalisme et absurde dans un long-métrage original et amusant. Cette suite reprendra les mêmes ingrédients : on retrouvera avec plaisir les situations cocasses pleines de quiproquos et de répliques inattendues, dans un humour qui s'étend du subtil au grotesque en passant par l'osé. Les dialogues sont toujours aussi finement ciselés, et rappellent Woody Allen par leur rythme et leur style incisif. On voyage donc sans trop de peine dans ce monde loufoque, où la dérision enchaîne avec le surréalisme. En effet, dans ce deuxième volet, Marion accueille sa famille dans son foyer avec Mingus, son nouveau copain, avec qui elle élève leurs enfants respectifs, issus de premières couches. Le choc des cultures est donc utilisé comme principal ressort comique : les gags qui en résultent ne sont pas toujours du meilleur goût, mais c'est surtout cette ambiance joviale, décontractée, hippie et décomplexée qui fera sourire. Ainsi se constitue une famille haute en couleur : Julie Delpy retrouve avec facilité ce rôle sur mesure, tandis que Chris Rock se fond bien dans le personnage et convainc en nouvel amant de Marion. Alexia Landeau se fait davantage oublier, tandis qu'Alexandre Nahon et Albert Delpy enfoncent leurs rôles dans leurs travers.



Car le problème du film, c'est qu'il n'apporte rien de plus que "2 Days in Paris" : on se demande même rapidement le pourquoi de cet épilogue. Si on retrouve une réalisation futée et arty, on déplorera l'histoire inconsistante : dans le prédécesseur, à travers le débâcle de situations caustiques, se déroulaient le développement d'un personnage complexe et une réelle réflexion sur le couple. Ici, tout est déjà dit, et il ne reste rien à dire. On ne croit pas du tout aux potentiels problèmes de couple de Marion et Mingus, les problèmes des familles recomposées sont presque sacrifiés aux histoires beaucoup moins intéressantes de rencontre avec les beaux-parents, qui prennent des airs de comédie américaine insipide. La voix-off de Marion n'a plus aucune utilité car le personnage ne connaît aucun développement. La puissante pensée finale de "2 Days in Paris", qui l'avait élevé au-delà de la simple comédie de mœurs, est ici troquée pour une fin en queue-de-poisson, qui revendique une telle profondeur sans avoir jamais approfondi ni même défini son thème.


En résumé, le film bénéficie du charme de son prédécesseur, et fera sourire à de nombreuses reprises. Mais son affligeant manque d'enjeu se soldera par un propos vide, comparable à l'échec que fut "Le Skylab". Il ne reste plus qu'à espérer que Julie Delpy se souvienne que ses films étaient meilleurs quand elle avait quelque chose à dire.

samedi 21 avril 2012

"Bye Bye Blondie", Virginie Despentes

Virginie Despentes adapte ici son livre du même nom, à une différence notable près : l'histoire d'amour sera désormais lesbienne. Elle qui revendique une visibilité plus juste pour les lesbiennes au cinéma, voit son nouveau film tomber à pic, entre "En Secret" et "Les Adieux à la Reine". En castant Emmanuelle Béart et Béatrice Dalle dans les rôles principaux, elle choisit de donner une tendance punk à son long-métrage.


Il y a assurément quelque chose de punk rock dans "Bye Bye Blondie". On apprécie ce léger vent de folie, cette saine rébellion, cette sorte de réalisme (bien que je ne doute pas que de vrais punks trouveraient à me contre-dire sur ce point, puisque je ne m'y connais que peu, finalement) dans une dynamique sincèrement affublée de toutes ses aspérités et tous ses aspects les plus viscéraux. Tout cela souffle sur l'intégralité du long-métrage, et on imagine aisément une Despentes exprimant ici sa propre irrévérence, quitte à surfer facilement sur les envies toujours réprimées de révolte de son public. Ainsi Stéphanie Sokolinski sera-t-elle fascinante en punk jamais aseptisée, et restera peut-être, à la fin, l'actrice qui marquera le plus ; et le film lui-même saura assumer son propos jusqu'au bout, en imprimant (au moins dans son récit) un refus de toute injuste autorité et de tout politiquement correct mal venu.


Est par ailleurs choisi le mode de narration chouchou des films des années 2010, dirait-on : l'alternance entre deux périodes. D'abord, celle d'hier, où Frances et Gloria se rencontrent et vivent une histoire d'amour adolescente puissante et tragique ; puis, celle d'aujourd'hui, vingt ans plus tard, quand Frances, désormais célèbre journaliste, vient retrouver Gloria et l'invite à vivre avec elle dans son monde parisien bourgeois. L'amour d'été est joliment retranscrit : il bénéficiera d'une photographie vive et claire, d'une réalisation intelligente et limpide, et d'une histoire sincère, juste et touchante, parsemée avec intelligence de détails drôles ou sensibles. A travers elle, de nombreux thèmes sont traités, sans les effleurer ni trop s'y épancher : l'incompréhension parentale, la découverte de la sexualité, la mouvance punk, ses envies et la vision dont elle souffre par la population, l'institutionnalisation psychiatrique, l'insouciance de la jeunesse... Aussi le récit sera-t-il rythmé, intéressant et réussira même à captiver, comme les histoires simples savent le faire uniquement lorsqu'elles sont bien racontées.


Du côté du présent, c'est un peu moins glorieux. Une fois passées les retrouvailles qui se font avec une rapidité déconcertante, on se demande vite où le film veut en venir. Si l'histoire est là aussi globalement simple, elle est sûrement moins bien racontée, tant elle peine à passionner. On ne comprend ni l'enjeu ni l'intérêt, on ne voit pas le problème ni ce que le film veut dire, hormis ce décalage de modes de vie, évident et peu creusé. Et ce n'est pas parce que l'on s'attache parallèlement aux héroïnes adolescentes, que l'on peut accéder à leur relation adulte, parachutée là sans construction préalable. La relation, qui fait le cœur du film, est en effet mal définie : tout ce qu'on en voit, malgré de belles scènes de tendresse ou d'accrochage, n'entre pas assez ni dans la complexité ni dans les sentiments. Ajoutons à cela le personnage détestable et cliché de Claude, interprété tant bien que mal par Pascal Greggory, et un essoufflement progressif général qui saura heureusement se regonfler lors d'une fin évidente mais bien sentie.


Restent alors les actrices : le film se veut résolument féminin, mais la direction pêche, de manière très surprenante et décevante. Les actrices se retrouveront alors à alterner entre justesse et cabotinage : Emmanuelle Béart impressionnera lors des scènes de colère mais ennuiera le reste du temps, Clara Ponsot souffrira de cette direction hésitante qui lui fera délivrer ses répliques de manière artificielle, et Béatrice Dalle sera réduite à une irrémédiable image de bulldog vulgaire. "Bye Bye Blondie" semble alors se perdre dans son propos et prend parfois les traits d'un produit résolument bobo, contemplatif et prétentieux. Cependant, au total, il s'extirpe de justesse de ce gouffre, en laissant le souvenir d'une histoire assez juste, jolie et simple, et qui, si elle aurait pu être creusée et exploitée davantage, reste intéressante et, avec ses propres moyens, élève tout de même le film quelque part, bien qu'on ne sache jamais trop où.



samedi 14 avril 2012

Ce que l'on écoutait en Mars 2012, à usage de nos descendants. (non je ne suis pas en retard.)

Il y a des jours où on a de la chance. Personnellement, quand je me suis retrouvé par hasard connecté sur Facebook (ce qui est un événement somme toute fort rare, vous en conviendrez au vu de l'espacement interminable entre mes interventions virtuelles sur réseau social) au moment même où était annoncée la mise en vente à la seconde des places pour Lille de cette tournée attendue, je n'ai pas hésité. Et je me suis retrouvé affublé de la place 1, rang 1. Celle-là même qui est devant le micro, au majestueux théâtre Sébastopol de Lille. Je me suis donc empressé de raconter cette histoire encore et toujours, chaque jour, à tout le monde parce que, sincèrement, c'est juste trop la classe, quoi.

Il est de ces artistes que l'on suit les yeux fermés. Ceux dont on achète (oui, oui!) les CD (oui, oui! le disque est irremplaçable) et les places de concert sans se poser de questions. J'en reparlerai sans doute la fois prochaine d'ailleurs. (Spoilers!). Et Feist en fait indéniablement partie.

J'avais déjà vu Feist en concert à l'Aéronef, il y a quelques années, pour sa tournée précédente. J'avais été marqué par la recherche artistique évidente sur scène. Puisque je n'ai pas attendu Assurément pour donner mon grain de sel, j'avais alors écrit : "On est dans le spectacle, c'est là toute la différence. Loin des grosses instrumentations tagadatsouintsouin, Feist préfère une intimité liée à une technique parfaite.". Feist refusait tout formatage de la musique, s'amusait à triturer les morceaux les plus connus, à réinstrumenter les autres, tout en soignant le visuel pour aboutir à un authentique spectacle artistique et musical, ce qui, on s'en rend alors compte, est tout compte fait beaucoup plus rare que ce que l'on peut croire.

Ainsi, Feist, Sébastopol, première place, et pour Metals en plus = quadruple Banana Split toi-même tu sais.

La première partie était constituée de M. Ward, seul sur scène. Virtuose de la guitare, il commence son set par un morceau uniquement instrumental. Il charme ainsi le public par ses mélodies douces et sombres, parfaitement maîtrisées et exécutées. Ce n'est qu'à la deuxième chanson que sa voix surgit : elle est grave, rocailleuse, profonde. Ses chansons ressemblent à un road trip, où on chanterait du blues à la guitare, lors des voyages de nuit. Sur scène, il pose l'ambiance et prépare le public, avec son naturel déconcertant. Le choix de M. Ward par Feist semblera évident, tant il est cohérent avec le reste du concert : c'est un musicien, un vrai, qui vient faire de la musique, de la vraie.




Dans le genre invité bien choisi, il y a aussi Mountain Man. Trio de jeunes femmes qui chantent a capella, ce groupe propose des chansons sereines et bucoliques, dans la veine de Moriarty. Feist les emploie pour cette tournée en tant que choristes. Ensemble, elles scanderont les paroles et les rythmes, et entonneront même une de leurs propres chansons au milieu du concert. Leur côté décalé est à la fois attirant et quelque peu rebutant face à leurs visages souvent fermés et leur manque de communication avec le public. Mais quand la musique est douce...




Mais parlons du cœur du sujet : Feist. Toujours aussi jolie, elle est arrivée vêtue d'une robe tendance médiévale, et commence sans plus tarder avec l'approprié "Undiscovered First". Cette chanson fait partie des grandes favorites de l'album pour beaucoup de monde ; pour ma part, je n'avais jamais vraiment accroché autant que ça, jusqu'à cette version live qui sublime la chanson, la rendant plus puissante que jamais. C'est en fait tout "Metals" qui sera interprété lors de ce concert. Si on retrouvera avec joie les brillamment adaptés "A Commotion", "Comfort Me", "Graveyard" ou "The Bad in Each Other", dont la puissance sémantique et rythmique est magnifiée par la scène, celle-ci donne une nouvelle lumière à d'autres morceaux, tels que "Bittersweet Melodies" ou "The Circle Married the Line", dont la mélodie restera gravée dans toutes les têtes pour des semaines à venir. Pour l'exquis "Cicadas & Gulls", Feist et Mountain Man viennent tout au devant de la scène (à vingt centimètres de votre serviteur, donc, si vous avez bien suivi) et chantent acapella, sans micro, cette berceuse relaxante. Et très vite on comprend l'importance de chanter l'album dans son intégralité : c'est chaque morceau qui en fait la force, du single "How Come You Never Go There" aux chants moins mis en avants comme "Anti-Pioneer".


Et quand vient le moment d'interpréter de nouveaux morceaux, c'est "Metals" qui en donne la couleur et le ton. Les chansons sont totalement réorchestrées en cette direction, Feist s'en amuse et les tourne dans tous les sens : on découvrira un "My Moon, My Man" totalement électro, un "I Feel It All" plus enthousiasmant que jamais ou encore un "Mushaboom" tellement remixé que le mot principal du refrain n'apparaît plus ! La recherche musicale est ainsi encore plus présente lorsque Feist prend des libertés. Le tout se déroule devant un grand écran où sont projetés des vidéos ou des collages appropriés à chaque morceau, ou encore des images en direct des musiciens ou de la chanteuse. Le visuel est donc toujours aussi soigné, même si un peu plus de diversité aurait été appréciée à ce niveau.


Le défi était surtout de retranscrire sur scène la rythmique si particulière de l'album, à la fois brutale et hypnotique ; Feist et ses musiciens le relèvent avec brio. La scène ajoute même encore plus de violence aux beats de "Metals", alors que ceux-ci sont tapés à l'unisson par l'ensemble du groupe. Chaque musicien frappe à un moment distinct, et à eux tous, la mélodie se forme et apparaît, par cet ensemble synchrone et travaillé. La transe musicale s'en suit ! Et elle est aussi aidée par l'orchestration fidèle : le clavier, les cordes et le reste concourent vers une qualité musicale peu commune. Les chœurs apparaissent primordiaux dans cet album où ils sont omniprésents, et soutiennent autant la voix que l'instrumentation. L'équipe de Feist est très talentueuse, et la musique qu'ils produisent a cette teinte particulière, cette fois encore, de la vraie recherche artistique.



Quant à Feist elle-même, elle apparaît un peu timorée au début, et puis se lâche de plus en plus pour parler franglais entre les chansons : "Now that I've decided it's okay to talk, I'm gonna be doing it all night!". En effet : son humour n'a d'égal que sa spontanéité, et se dresse devant nous cette femme entre la chanteuse espiègle qui taquine public et musiciens, et l'artiste concentrée à la voix pure et juste, à l'image de son spectacle. Car à la fin du concert, on s'étonnera soudain de ne pas avoir entendu le morceau le plus connu de Feist, "1234", celui que tout le monde attendait sur la tournée précédente (et souvent le seul qu'ils semblaient connaître...). Feist l'a omis volontairement : sans doute ne trouvait-il pas sa place dans le cadre de "Metals", et elle n'est certainement pas du genre à faire un show où elle forcerait la présence de son tube. C'est sans doute ce qui est le plus beau dans les concerts de Feist : cette envie de faire de l'art avant de faire du spectacle, une envie qui est si bien réalisée que c'est son art qui devient spectaculaire.



Il y a des jours où on a de la chance, donc.

mercredi 11 avril 2012

"Les Adieux à La Reine", Benoît Jacquot

Oui, bon.



C'est là ma réaction en sortant du film "Les Adieux à la Reine". A l'aube de la Révolution, toute la Cour de Versailles, loin de s'imaginer les tracas de la populace, ne parle que de la liaison de Marie-Antoinette avec sa nouvelle favorite, Gabrielle de Polignac. L'histoire est suivie à travers les yeux de la jeune Sidonie Laborde, liseuse officielle de Marie-Antoinette, et qui développe des sentiments complexes pour la reine.


Un film d'histoire, donc. Mieux encore : un film d'histoire qui s'attache au quotidien des gens qui se retrouvent au milieu des grands événements passés, plutôt que de se focaliser sur les tenants et aboutissants géopolitiques ; c'est-à-dire un film d'histoire comme je les aime. A ce titre, on est servi : la reconstitution historique est fidèle, le tournage du film à l'intérieur même du château de Versailles aidant beaucoup. Les décors donc, mais aussi les costumes, sont magnifiques, et glorifiés par une lumière maîtrisée et une photographie aux couleurs rappelant les tableaux de l'époque. Les personnages, quant à eux, échangent dans un langage tantôt soutenu, tantôt franchement familier à la limite de l'anachronisme, tant l'accent est mis sur leur vie, la vie commune de nobles et de bourgeois de la fin du XVIIIe, à travers leurs chamailleries, leurs repas, leurs jalousies, leurs émois, leurs retards, leurs soucis et leurs plaisirs.



Et dans tout ce beau monde insouciant s'élève Sidonie, interprétée par l'omniprésente (et quelque peu morne) Léa Seydoux. La jeune liseuse axe sa vie toute entière sur les moments partagés avec la reine, dont elle est tombée amoureuse. Sa découverte des sentiments et de la sensualité se fait progressivement, avec justesse : elle plane à travers le brouhaha révolutionnaire. Son émoi est retranscrit par une écriture assez précise qui en cerne tous les aspects, du plus candide au plus sombre. En face, Marie-Antoinette, passionnément incarnée par Diane Kruger, n'a d'yeux que pour la jolie Gabrielle, interprétée par Virginie Ledoyen dont le rôle est en fait beaucoup plus restreint que ce qu'on aurait cru, empêchant l'actrice de vraiment développer son personnage. L'homosexualité ambiante est étonnamment perçue comme tout à fait normale, voire attendue, par l'ensemble de la Cour : elle est traitée comme on souhaiterait qu'elle le soit aujourd'hui, c'est-à-dire avec le plus grand naturel qui soit. Le parti-pris, s'il est désarçonnant et presque trop peu crédible, est assez original. Le triangle amoureux se resserre étroitement, jusqu'à un dénouement profondément cynique où Sidonie se retrouve à la place même où elle souhaitait plus que tout se trouver, mais d'une façon tristement cruelle.


Mais en attendant, le film s'enfonce dans une molle bourbe d'ennui. On suit les pérégrinations de Sidonie sans jamais trop s'y attacher, on découvre sans surprise les facéties d'une Marie-Antoinette un peu trop excentrique, on se lasse des personnages secondaires qui interagissent avec l'héroïne monotone. Le tout est mal filmé, dans la mesure où à partir de la moitié du film commence soudain la Grande Fête du Zoom. S'enchaînent alors les plans où la focale augmente, en un effet inintéressant, assez émétique et digne des "Feux de l'Amour" lorsqu'une grande révélation (façon Brenda a couché avec Brendon) est dévoilée en fin d'épisode. "Les Adieux à la Reine" se terminera de façon inopinée, presque en queue de poisson, fidèle au rythme déterminément individuel et assez réaliste qu'il a choisi d'adopter, mais nous laissera nous interroger sur son propos et son intérêt profond, jusqu'à hausser les épaules et penser :


Oui, bon.

lundi 9 avril 2012

"Hunger Games", Gary Ross

Oui donc voilà. Je vous parle de "Intouchables" la dernière fois, silence radio pendant deux semaines (bon, ok, trois), et je reviens comme une fleur discuter de "Hunger Games". Alors, je vous arrête tout de suite : non, je n'ai pas été kidnappé dans mon sommeil par un fanatique déséquilibré qui m'aurait ensuite remplacé ni vu ni connu sur ce blog à l'influence désormais internationale. Non, avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités et je ferme donc toujours ma porte à clef avant d'aller me coucher (quitte à enfermer l'homme de mes jours dehors, il lui faut apprendre la dure vie avec les puissants). Et ma sélection récente de films sera très vite relevée. J'ai environ un million trois de chroniques en retard. Tout va bien.

Je suis donc, moi le snobinard, allé voir cette grande production américaine, gentiment resucée de "Battle Royal" (que, ne connaissant pas vraiment, je ne peux que me contenter de citer pour faire cultivé). En très bonne compagnie par ailleurs, mais vous vous en fichez un peu, non ?


Je ne sais pas pourquoi mais j'avais espoir. Et il faut dire que tout a bien commencé. Il s'agit de l'histoire futuriste d'un monde où, après une grande rébellion écrasée par le gouvernement, le peuple est gardé dans la terreur par l'organisation annuelle de jeux télévisés sanguinaires auquel chaque district doit envoyer deux de ses adolescents. Les candidats, de douze à dix-huit ans, se retrouveront dans une grande forêt virtuelle où leurs moindres faits et gestes seront retransmis pour le plus grand plaisir de la noblesse décadente, alors qu'ils essaient de survivre et de s'entretuer dans cette compétition où il ne peut en rester qu'un.


L'idée, si elle n'est donc pas originale, a beaucoup de potentiel, et celui-ci se déploie dès le commencement. Le film prend effectivement le surprenant parti pris de se focaliser plus longtemps sur l'avant-jeu, que sur les Hunger Games en eux-mêmes. Le temps d'apprendre à connaître le monde de science-fiction qui nous est proposé ici : son histoire, ses districts, des plus pauvres aux plus riches. La vie du peuple et la vie de la noblesse, dont les costumes extravagants assortis de maquillages et coiffures excentriques apportent une crédibilité très esthétique à l'étrange univers décrit. Les parallèles avec notre société sont abondants mais relativement subtils, et invitent notamment à réfléchir sur les classes sociales et les dérives de la téléréalité. Si on avait poussé un peu plus, on en aurait presque même touché à un portrait simple mais fidèle de la nature humaine, mais ce blockbuster n'en a pas la prétention. Il se contente d'utiliser son gros budget pour créer un royaume où la pauvreté des uns contraste avec le luxe futuriste des autres, et c'est pour l'instant déjà très bien comme ça.


Et puis les candidats entrent dans l'arène... C'est-à-dire surtout Katniss, personnage principal, archétype de la fille droite, un peu bonnasse façon garçon manqué avec des seins, pas très sociable mais avec un cœur d'or. J'arrête la description avant que vous ne vous endormiez, mais disons-le maintenant, ce sera fait : ce protagoniste est ennuyeux et inintéressant. Aucune profondeur ne lui est rattachée, la laissant irrémédiablement et uniformément unidimensionnelle, là où son évolution dans un monde soudain si cruel aurait pu être fascinante. Jennifer Lawrence, qui l'interprète, n'aide en rien : elle n'a qu'une seule expression faciale et ne laisse de souvenir que celui de son portrait photoshopé de l'affiche, tant elle échoue à emprunter une autre couleur de jeu durant tout le long-métrage, ce qui va même à en gêner la compréhension par moments. Soulignons d'ailleurs qu'aucun acteur ne laissera vraiment une marque plus profonde : les comédiens luttent avec le caractère résolument lisse de leur personnage ou s'en contentent tristement. Seul Lenny Kravitz, contre toute attente, se fera remarquer, sans doute grâce à un charisme plus riche que celui de tous les autres réunis.


A compter de cette entrée dans le jeu, donc, le propos du film s'essouffle rapidement. Il commence pourtant par quelques idées novatrices et prometteuses : c'est avec intérêt que l'on suit les moyens que Katniss met en œuvre pour survivre sans combattre, et toutes les alternatives que les autres nominés choisissent. Certaines scènes tiennent en haleine par des effets spéciaux réussis et une tension bien maîtrisée, et participent à plonger le spectateur le plus réticent dans cette lutte à la vie, à la mort. Malheureusement, l'histoire dérive très rapidement sur d'immondes clichés. "Hunger Games" agace alors : il sabote ouvertement son potentiel au nom des stéréotypes hollywoodiens. S'enchaînent ainsi les conflits manichéens, les retournements de situation sans surprise, et une insipide et inutile romance à laquelle personne n'a l'air de croire, aussi bien les acteurs, les scénaristes que les personnages eux-mêmes. La crédibilité y est sacrifiée plus d'une fois et la mièvrerie reprend le dessus sur la sauvagerie qui aurait pu, qui aurait dû être exprimée dans ce contexte violent.


Le combat final se veut spectaculaire mais se fait grandement inintéressant, d'autant plus qu'il est très mal filmé, à l'image du reste du film. En effet, les mouvements de caméra sont erratiques, rapides et imprécis, espérant sans doute créer un sentiment d'urgence alors qu'ils ne font qu'obscurcir le suivi des événements (et peut-être dissimuler les doublures ?). C'est d'autant plus regrettable dans un récit où les caméras sont omniprésentes pour enregistrer sous tous les angles. Mais une fois cette pénible séquence obligatoire dépassée, un dernier espoir soulève le film : sera-t-il sauvé par une résolution ambitieuse et surprenante, ou se vautrera-t-il la tête la première dans le fiel des stéréotypes jusqu'au bout ? Il est incroyable à quel point une histoire peut être puissamment relevée par sa fin. Si elle est réfléchie et porteuse d'un message, celui-ci va transpercer rétrospectivement tout le film et corriger, voire excuser, ses défauts les plus ignobles. Si elle apporte un twist inattendu, elle ramène complètement l'ensemble du récit sur un autre niveau et, à condition d'avoir préparé le terrain, donne une impression de génie.


Dans le cas de "Hunger Games", à cette seconde même où les plus belles possibilités créatives de dénouement s'offrent au film et lui tendent la main pour en faire une production puissante, profonde, voire importante, est choisie la solution de facilité. Celle que tout le monde avait vue venir vingt minutes auparavant, celle qui n'apporte rien au film, celle qui le cristallise dans ses stéréotypes fadasses. Et quand, par les dernières secondes, elle révèle son intention mercantile d'une ouverture à une suite si réussite commerciale, elle renvoie définitivement ce film au rang des productions à oublier au plus vite. Ou peut-être mon snobisme rêve-t-il trop qu'un blockbuster aussi exposé puisse raconter une histoire sombre et riche ? Quelle déception, en tout cas, quel dommage de gâcher un tel potentiel au nom de l'argent. La preuve, si besoin en était, que ce sont tous les autres films qui font du cinéma un art.