"Carnage" est l'adaptation par le cinéaste Roman Polanski de la pièce de théâtre "Le Dieu du Carnage" de Yasmina Reza. En découlent deux faits.
Premier fait. Adapter une pièce de théâtre au cinéma, une entreprise des plus glissantes... Polanski choisit le parti-pris de la transposer selon les codes originaux : unité de temps, unité d'espace. A l'exception des la scènes d'ouverture et du générique final, l'histoire se déroule dans un appartement (principalement dans la même pièce, d'ailleurs) et en temps réel. Nous allons donc témoigner d'une heure trente de la vie des quatre personnages. La question sous-tendue immédiatement est : quel est l'intérêt ? Si c'est pour une adaptation aussi peu aventureuse, à quoi bon prendre la peine de la produire ? Pourquoi regarder une sorte de pièce de théâtre dans un décor de cinéma ? Je ne sais pas pour vous, M. Polanski, mais moi, quand je vais au théâtre, je m'attends à voir du théâtre... et quand je vais au cinéma, je vous le donne en mille, je m'attends à voir du cinéma. J'adore les deux arts, mais ils ont des codes bien distincts. Ce n'est pas parce que des acteurs s'expriment dans les deux, que l'on peut les fusionner aussi facilement.
Ainsi, les situations qui auraient fonctionné avec brio au théâtre prennent ici un air faux, absurde, illogique, irrégulier, inintéressant. Aucune ambition n'est prise : on en arrive au point où on préférerait que l'adaptation soit infidèle, pourvu que cela amène de la surprise et surtout pour que cela place le film en premier lieu dans le domaine du cinéma. Ici, les réactions des personnages sont épuisantes. L'exaltation des émotions propre au théâtre prend ici un goût amer. Les disputes s'enchaînent : à chaque instant du film, deux personnages sont en train de se prendre le bec, jusqu'à ce que toutes les combinaisons d'alliance et de déchirure possibles aient été exploitées. On en arrive à regarder une interminable et insupportable dispute en huis-clos. Débat d'autant plus frustrant qu'il se déroule au cinéma. Et comme dans toute dispute, les débats stériles pleuvent, se répètent sans cesse, les réactions varient, et bien sûr, dans une bien pâle critique de la comédie humaine, les sourires finissent par révéler les crocs. Sans surprise et sans message, un déroulement aussi schématique que l'évolution des mimiques dans l'affiche du film. Le spectateur se retrouve à la place des personnages : enfermé dans une situation dont il voudrait se sortir.
Que reste-t-il alors de ce film qui peine à trouver une âme ? De la comédie ? Oui mais deuxième fait : "Carnage" fait partie de ces productions qui préfèrent, au nom du nombre d'entrées, vendre leur âme directement en révélant l'intégralité de leur substance dans la bande-annonce. Faire venir des spectateurs à tout prix, en montrant tout, pour que le public s'attende à encore mieux, à encore plus grand, alors qu'en fait, c'est bien le meilleur qui a été monté dans la bande-annonce... Et face au film, ce meilleur est déjà connu. On ne découvre que le reste, moins drôle, moins intéressant, moins surprenant. Et comme il s'agit d'un film de réalisateur connu, la bande-annonce tourne dans toutes les salles depuis quelques mois déjà : autant d'occasions de la connaître par coeur et de finir, une fois devant le film, par attendre les situations marquantes du trailer. Une énorme déception : on ne rira que si on n'a jamais entendu parler de ce film et qu'on y va les yeux fermés. Et si on se dit alors que l'ensemble du film sera forcément transcendé par une fin cataclysmique qui dépassera toutes les situations du récit exhibées par la bande-annonce, on est sur le point de vivre une frustration encore plus vive.
Évidemment, tout n'est pas non plus à jeter dans "Carnage". Les acteurs sont généralement très bons : Christopher Waltz est très bon en personnage exaspérant bien que caricatural (sûrement encore l'effet théâtre transposé sans nuance au cinéma). Jodie Foster livre la performance la plus réfléchie du casting, glissant lentement et prudemment son personnage dans ses réactions les plus violentes et primaires. Kate Winslet, quant à elle, assume la bourgeoise qui se vulgarise au long du film : léger repos sur les lauriers mais effet comique garanti. Enfin, John C. Reilly est un bon choix pour le rôle mais peine à trouver de la nuance dans son jeu, sans doute là encore freiné par la théâtralité excessive des réactions des personnages. Ces personnages sont pris dans une situation tout à fait anxiogène pour du cinéma, mais heureusement et évidemment joliment filmés, dans une réalisation Polanskienne à la fois précise, claire, réfléchie et efficace et dans une photographie aux couleurs chaudes et agréables.
Ainsi, "Carnage" est un film bien tourné et bien joué, mais il ne parviendra dans le meilleur des cas qu'à être un agréable divertissement, à la condition de n'avoir jamais vu sa bande-annonce marketting et de savoir fermer les yeux sur la question de son intérêt premier, tant l'adaptation aussi fidèle et peu ambitieuse d'une pièce de théâtre ne présente pas le moindre enjeu.
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