mardi 21 juin 2011
"Medianeras", Gustavo Taretto
Pour voir un film, mieux vaut ne rien en savoir au préalable. C'est quand les attentes sont nulles, ou encore basses, que les surprises se font les meilleures. J'y reviendrai mais pour "Medianeras", j'aurais préféré ne même pas avoir vu la bande-annonce, qui m'a gâché la scène de fin. Mais c'est sans connaître la signification de son titre, que j'ai bredouillé maladroitement au caissier maussade, que je suis allé voir ce film hispano-germano-argentin. J'ai donc pu involontairement sauvegarder ce sentiment particulier du moment où l'on comprend pourquoi le film a été ainsi nommé, avec cette impression de satisfaction sublimant le tout, de dernière pièce du puzzle posée. J'ai ressenti cela pour la première fois dans "Les Poupées Russes", et pour "Medianeras", l'émotion était d'autant plus présente.
Le concept est simple : c'est le portrait croisé de deux personnes, qui habitent tout près, ne se connaissent pas mais se cherchent. Une des forces narratives du film tient en ces multiples rencontres en décalé, qui résonnent avec la réflexion que l'on s'est tous fait, selon laquelle il existe sûrement des inconnus que l'on croise plusieurs fois par jour, qui partagent nos habitudes de quartier et de vie et qui, pourtant, nous passent inaperçus. Ainsi, ces moments à l'envolée où les deux personnages se croisent ou interagissent en décalé dans le temps ou l'espace, forment à chaque fois comme un malicieux et intelligent clin d'oeil, dont on a un peu plus envie à chaque fois que ce soit celle de la rencontre, établissant un genre de suspense intéressant.
Bien sûr, et surtout quand on n'aime pas forcément les films d'amour comme c'est mon cas, on pourra regretter le fait que Martìn et Mariana semblent parfois se correspondre un peu trop parfaitement. Cela n'apparaît a priori pas suffisamment réaliste pour porter le message du film, à savoir que chacun peut trouver la perle rare à condition de chercher, parce qu'elle cherche aussi. Cependant, ce côté légèrement exagéré est rattrapé par tout le reste du film : la caractérisation indépendante de chaque personnage, leurs pérégrinations amoureuses et anxieuses, leurs erreurs, leurs doutes, et surtout leur rencontre qui peut alors s'effectuer tout en retenue, puisqu'il a déjà été amplement démontré à quel point ils seraient et seront bien ensemble. C'est ainsi que malgré tout, le message d'espoir et d'amour perce.
Étrangement, c'est en alternant des séquences relativement longues de l'un puis de l'autre que le film, malgré quelques longueurs en conséquence, parvient à rendre les deux personnages tout aussi attachants. Le jeu impeccable porté par un très bon choix de casting concourt à cette réussite. Martìn (Javier Drolas, ténébreux et lumineux à la fois) est plus facilement caractérisable, dès le début, par ses nombreux problèmes de santé mentale, mais le film a l'intelligence de se détacher rapidement de cela pour explorer sa personnalité en profondeur, loin de toute considération psychiatrique. Mariana (Pilar López de Ayala, fragile et imposante), de son côté, connaît une description d'emblée plus subtile, plus mystérieuse aussi parfois, comme si, contrairement à lui, elle ne pouvait pas se réfugier derrière quelques étiquettes symptomatiques. C'est ce qui les rend différents et les unit intimement, à la fois, tout en les rendant bouleversants et humains.
Ce petit bijou par Gustavo Taretto n'est pas sans rappeler l'excellent "(500) Days of Summer", dont il évoque parfois une sorte de version par cette Amérique qui est plus au Sud que l'autre. Mais si les deux semblent s'inscrire dans un mouvement semblable, si on y retrouve une "story of boy meets girl", des réflexions subsidiaires similaires, notamment sur l'amour ou l'architecture, et surtout la modernité des procédés cinématographiques utilisés, la comparaison s'arrête vite, tant "Medianeras" est bien un film à part entière et indépendant de tout le reste, caractérisé qui plus est ce grain de photographie latin qui donne un air suranné, à la fois morose et grisé dans tous les sens du terme.
Malgré quelques ratés, la réalisation s'avère soignée et originale, dynamique et moderne, contrastant agréablement avec l'apparente tristesse que ressentent souvent les protagonistes. On note notamment un vrai jeu sur la luminosité, justifié par la fin. La réalisation permet aux quelques réflexions sur la société moderne d'illustrer avec fluidité et intelligence tout le récit. Le sens qu'elles portent est bien venu, bien dosé et bien pensé, et permet de caractériser d'autant plus les personnages, par l'anxiété qui explique qu'ils méditent sur de tels sujets.
Elles sont aidées en cela par de multiples petites trouvailles narratives, ces détails scénaristiques qui enrichissent le film en lui-même. C'est à mes yeux ce qui fait toute la force percutante de l'art : au-delà de l'histoire ou du thème, il s'agit de tout ce qui s'articule autour. Des idées, des répliques, des morceaux de décor, des manies ou des goûts des personnages, des envies de mise en scène, des éléments de réalisation innovante, légère et intelligente. Ici, ce sont toutes ces petites pierres qui forment un double édifice artistique, définissant l'identité du film en même temps que celle de ses personnages. C'est bien par là que "Medianeras" brille : chaque plan et chaque seconde tendent comme autant de coups de pinceaux vers le perfectionnement de deux portraits presque hermétiques qui finissent par n'en devenir plus qu'un.
C'est ainsi qu'on parvient à un film à la fois sobre et fantasque, où les deux portraits sont si bien dressés qu'on les accepte pour tout ce qu'ils ont à offrir, et qu'on en vient à se dire que, quitte à raconter une rencontre, tous les films romantiques devraient ressembler à "Medianeras".
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Sans aucun doute l'article qui m'a le plus donné envie de voir le film dont il traite.
RépondreSupprimer=)
Youpiiii je suis utiiiile!
RépondreSupprimer(Et c'est qui? :) )