lundi 31 octobre 2011

Ce que l'on écoutait en Octobre 2011, à usage de nos descendants

Oui. Tout comme j'ai lancé cette passionnante tradition de la review feuilletonnante des séries de l'été à la rentrée (avec un article publié sur les quatre prévus : normal), j'inaugure celle-ci : un bilan musical en fin de mois. (Attendez-vous donc à ce que ce soit le seul article de ce genre.) N'est-ce pas ingénieux ? Allez, remettez-vous de la brillance de l'idée, je m'y mets. Le mois d'octobre a été très riche en pépites et en sorties en tout genre d'albums très attendus.


Feist - Metals


Feist offre une suite à son fabuleux album "The Reminder" (souvenez-vous : 1234, My Moon My Man, I Feel It All, Honey honey... et autres tubes riches et intelligents alternant avec des balades douces et travaillées). Lorsque j'avais vu Feist en concert pour sa tournée précédente, j'avais été marqué par son manque d'intérêt pour le spectaculaire : Feist est une artiste, elle n'en a clairement rien à carrer de faire "1234" avec des gros beats pour plaire aux fans occasionnels, elle préfère sans hésiter le travail musical pour offrir sur scène des réinterprétations ingénieuses et magnifiques.

C'est un peu dans la continuation de cette façon de penser que "Metals" se place. A la première écoute, il s'avère résolument homogène et un peu 'froid' : les mélodies sont jolies et semblent se répondre, se mélanger dans un disque cohérent et intimiste. C'est au fil des écoutes que les chansons s'individualisent : on apprend à aimer le thème cruel au rythme entêtant de l'introductive "The Bad In Each Other", à reprendre les chœurs du brillant "Graveyard" (futur single?), à danser aux cris tribaux de "A Commotion" et à vivre un moment de relaxation rarement égalée sur "Cicadas & Gulls". La fin de l'album, quant à elle, enchaîne le puissant "Comfort Me" et le merveilleux et tendre "Get It Wrong, Get It Right".


C'est alors que l'on peut vraiment réaliser le travail incroyable entrepris par Feist sur cet album : chaque chanson est profondément ciselée avec art. Les rythmes sont incroyables, le choix des instruments est discrètement génial, la voix est toujours aussi caractéristique et à l'aise. Les textes, de leur côté, comportent toujours cet élégant côté onirique, vague et beau. En réalité, c'est un album qui revisite la sobriété de "Let It Die" avec la richesse musicale de "The Reminder", et en devient un opus nouveau, grand, qui parvient à créer une atmosphère indéfinissable et profondément émouvante. Pour conclure, je paraphraserai Laurent Hoebrechts du site Focus Vif : "Le 4e album de Feist porte bien son nom : d'apparence froide, Metals laisse formidablement passer la chaleur."

Björk - Biophilia


Enfin ! Le dernier Björk, "Volta", date de 2007. Et, bon, entre nous, disons, pour être sympa, qu'il ne compte pas. Ainsi, pour le dernier vrai Björk, comprenez le dernier où elle imposait une fois de plus son génie avec un concept original, réussi et des chansons inégalables, il faut remonter à "Medulla" en 2004. Autant vous dire qu'on l'a attendu, le "Biophilia". Cet album, qui plus est, n'en est pas vraiment un : créé à partir d'instruments inédits façonnés pour l'occasion et en partie sur iPad, il a été conçu pour être écouté sur iPhone, où chaque chanson est sortie sous forme d'application où l'on avait l'occasion de retravailler nous-mêmes la musique de Björk. "Biophilia" est défini comme une œuvre aux confins de la musique, de la technologie et de la nature.

C'en est effectivement le thème récurrent : par des textes inventifs, Björk parvient à faire ce qu'elle fait le mieux en signant dix chansons qui traitent, selon le point de vue, de phénomènes naturels (de l'atome au cosmos) ou de relations humaines. Le gai "Virus" en est un bon exemple : la cellule appelle le virus à l'infecter, la femme appelle l'homme à l'aimer ; "Sacrifice" est une lettre ouverte de l'artiste aux hommes qu'elle appelle à respecter la planète comme une épouse qu'il ne faut plus maltraiter. Le jeu du double sens n'a jamais été tant exploité par Björk et lui permet de délivrer ses messages écologiques tout en permettant à l'auditeur d'y trouver autre chose, en exploitant cette fusion de l'homme et de la nature comme une relation amoureuse passionnelle.


"Biophilia" est donc un voyage à travers la nature : l'ambiance est posée, sombre, hypnotique. On pourra regretter, malgré la variété des instruments, une relative homogénéité froide de l'ensemble, même si c'est ce qui apporte la cohérence d'un album puissant qui peine néanmoins à être personnel. Ainsi, certains morceaux apparaissent résolument sombres, voire opaques ("Dark Matter", "Hollow") et, malgré une finesse du travail, restent quelque peu inaccessibles, en raison d'une ligne musicale pas toujours clairement définie. Mais quand les mélodies percent, elles sont à la fois grandement björkiennes ("Solstice" rappelle l'époque "Vespertine") et innovantes, rassemblant tout ce qu'elle a pu amasser dans ses albums précédents : "Mutual Core" ressemble à une version plus réussie et enfin maîtrisée de "Triumph of a Heart" ou "Earth Intruders", présentant un rythme chaotique mais suffisamment contrôlé - à l'inverse de la fin ratée de "Crystalline" qui en détruit l'ambiance pourtant spéciale. En résumé, ce que Björk avait ébauché (bâclé?) dans "Volta" trouve sa forme ici et devient magistral : "Thunderbolt" et son refrain inquiétant en sont le parfait exemple, un morceau puissant, à la fois anxiogène et salvateur, porté par une voix toujours plus maîtrisée et plus pure.

En cela, on peut dire que "Biophilia" est l'aboutissement du travail de Björk : elle innove, elle reprend ce qu'elle a appris, elle s'exprime enfin complètement sur le sujet qui l'a toujours fait vibrer davantage, tout en laissant au public le loisir de ne pas s'y enfermer, et c'est ainsi que, malgré quelques ratés, l'album est une réussite qui restitue Björk comme Déesse de la Musique. Rien que ça.

Camille - Ilo Veyou

Qu'est-ce qu'elle pouvait encore bien nous inventer, Camille ? L'artiste est sans doute à la fois une des plus talentueuses et des plus sous-estimées en France, parce que les quelques chansons radiophoniques que les gens connaissent ne représentent qu'une infime partie de son génie. Elle nous a prouvé sa fraîcheur avec "Le sac des filles", son originalité créative avec "Le fil", son oreille musicale parfaite avec "Music Hole". Le portrait était dressé ; et elle le porte plus loin encore avec "Ilo Veyou", en nous entraînant dans une remarquable traversée du monde de la musique.

En vertu de l'organe incroyable de la chanteuse, la part belle est de prime abord accordée à la voix, donnant naissance à des morceaux presque acapella intimistes où l'émotion fleurit avec facilité et force : "Pleasure" ou "Le banquet" en sont de bons exemples, ou encore le touchant single "L'étourderie". "Tout dit", qui clôt l'album, allie texte poétique, spontanéité hypnotisante et maîtrise surhumaine du rythme. Mais pour émouvoir, Camille a plus d'une corde à son arc, et utilise aussi des morceaux savamment orchestrés, tels que "Le Berger", "She Was" ou "Wet Boy" qui sonne comme la suite de "Winter's Child".


Cependant, elle nous entraîne aussi vite vers d'autres contrées : une visite rapide du jazz avec le frais "Bubble Lady", la chorale d'enfants avec "Allez allez allez" (un peu moins agréable, Camille n'étant pas toujours facile à suivre dans ses délires personnels), et des perles colorées et sucrées telles que "Message". Bien sûr, on passe par des morceaux typiques de Camille comme "Ilo Veyou", "Mars Is No Fun" ou "My Man Is Married But Not To Me", où elle allie son sens du rythme à une voix lancinante et des mélodies sur mesure, pour des morceaux caractéristiques mais originaux. Cette grande traversée musicale passe aussi par une délicieuse caricature de la grande diva, qui n'est plus l'actuelle Mariah Carey comme c'était le cas dans l'album précédent avec "Money Note", mais cette fois la nationaliste de la Belle-Epoque, avec l'hilarant et sarcastique "La France".

C'est donc enthousiasmé que l'on ressort de ce tour musical à l'agréable diversité rappelant en cela "Le Sac des Filles" : Camille s'amuse, nous amuse, s'émeut et nous émeut ("Aujourd'hui"), dans des chansons parfois personnelles mais jamais mises en scène. Camille expérimente les multiples possibilités qui s'offrent à elle et nous ravit du résultat qui arbore à la fois une maîtrise et une fraîcheur dans un duo rarement égalé.

Et dans la rubrique "Après la bataille"...

Florence + The Machine - Lungs



Comment suis-je passé à côté de cet alien musical ? Surtout après un mois à Londres... Je ne me comprends pas, parfois, mais mieux vaut tard que jamais. C'est avec l'explosif "Kiss With A Fist" que j'ai découvert l'ovni, grâce à un voisin étrange. Cela m'a vite mené vers le single coup-de-cœur, l'étonnant, surefficace et génial "Dog Days Are Over", puis vers toutes ses autres chansons. D'abord, les connues, comme le remarquable "You've Got The Love" dont le clip transforme subtilement le destinataire en ses fans, le puissant "Drumming" ou encore "Rabbit Heart". Mais aussi, des perles moins mises en avant : "Hurricane Drunk", "Cosmic Love" et "My Boy Builds Coffins".

A chaque fois, la voix jaillit, le texte est corrosif et poétique, la musique enrobe le tout avec soin et modernité. Si d'autres morceaux marquent un peu moins, ils comportent tous un trait caractéristique qui les rend intéressants : c'est le cas de "I'm Not Calling You A Liar", "Girl With One Eye"...


Florence + The Machine a la spécificité de porter parfaitement la musique de son temps, avec une richesse musicale et une clarté vocale à toute épreuve, mais tout en créant une personnalité qui s'exprime dans la musique avec élégance et décalage. La voix est puissante et profonde, elle éclate en s'amusant et en souffrant. L'instrumentation est dense mais jamais trop chargée, pour un résultat optimal. Avec une maîtrise étonnante des temps morts et des explosions de son, Florence + The Machine est une découverte qui est venue rythmer mes journées. Elle sort un nouvel album aujourd'hui (comme quoi je ne suis pas vraiment du tout à la bourre), vous en aurez évidemment sûrement peut-être des nouvelles.

Dans la rubrique "Vite, avant que vous ne vous rendiez compte que je n'écoute que des chanteuses à voix, à texte et bizarroïdes..."



Alex Beaupain - Les Bien-Aimés


J'en ai déjà parlé beaucoup avec le film dont il s'agit de la bande originale. En résumé, les voix ne sont pas des voix de chanteurs, mais la production parvient à le faire fonctionner à l'avantage des chansons, en utilisant justement ce côté fluet et fragile : les morceaux de Chiara Mastroianni en sont un excellent exemple, avec les très jolis "Jeunesse se passe" ou "J'en passerai". Du côté de Catherine Deneuve ou Ludivine Sagnier dont les manières vocales s'allient au contraire mal avec le reste, c'est plus laborieux. En fait, ce sont les textes qui sauvent l'album : des chansons comme les excellentes "Qui aimes-tu ?", "Ici Londres" ou "Puisque tu m'aimes" sont écrites d'une plume sublime. Mais là où le bât blesse, c'est assurément du côté de la musique : elle rappelle la grande époque de Claude François, les cordes semblent pré-enregistrées comme dans un mauvais remix et on déplore la pauvreté de l'instrumentation. Ainsi, si cet album restera bon pour quelques morceaux triés sur le volet et sauvés par l'écriture, son écoute intégrale tient vite de l'exploit fatigant... Alex Beaupain devrait vraiment rester parolier...

dimanche 30 octobre 2011

"Attenberg", Athina Rachel Tsangari

"Attenberg" nous plonge sans attendre dans le quotidien grec de Marina, jeune femme de 23 ans qui travaille dur pour soutenir son père malade et qui, dans le même temps, essaie de contrer son asexualité en cherchant incessamment comment les autres peuvent bien s'y prendre.


Par une interprétation sans faute grâce à une direction solide, on s'attache assez rapidement au petit cortège de  personnages qui gravitent autour de la touchante Marina : Bella, l'amie amusante, fidèle mais quelque peu nymphomane ; Spyros, l'attachant père en phase terminale de cancer qui essaie d'organiser comme il peut son grand départ ; et le patient ingénieur qui accepte plus ou moins d'être le cobaye de Marina dans ses expérimentations sentimentales.


Est alors dépeinte la vie extrêmement nonchalante d'une jeune Grecque indécise. L'exploit est de raconter cet ennui relatif sans en produire chez le spectateur. Au contraire, on suit avec intérêt l'immersion dans le quotidien de Marina : ses questionnements, ses jeux, ses essais, son parcours plus ou moins initiatique qui ne se réclame pourtant d'aucune prétention universelle. C'est un portrait à la fois personnel et parlant, d'une jeunesse à la fois sous contrôle et à la dérive, d'une langueur comblée, d'une grisaille coloriée. A travers le regard morne de la jeune fille sont passées en revue les questions de l'amour, du sexe, de l'intimité, des relations sociales : amicale, amoureuse, familiale. Une sorte d'avancée vers l'âge adulte sans trop s'en soucier, comme une tâche à accomplir. Quand Marina doit soudain prendre de grandes décisions, elle fait son choix sans trop hésiter mais avec mélancolie.


Tout cela passe par une mise en scène intrigante et originale, pour le moins : les scènes alternent notamment avec des passages de jeux entre les deux amies, qui sautillent en rythme dans une chorégraphie étrange, ou alors se racontent leurs rêves les plus perturbants. Cette réalisation résolument underground est parfois too much, pour faire dans l'anglicisme : Tsangari cherche un peu trop l'absurde pour qu'il le soit vraiment, revendique un peu trop l'originalité pour qu'elle soit authentique. Mais l'esthétisme est là, et le résultat reste intéressant, onirique et doux. De plus, ces petits intermèdes ne rendront que plus vif le récit, rendant d'autant plus marquants les événements narrés.


C'est donc en fait une sorte d’œuvre de Xavier Dolan à la grecque qui est livrée ici : un récit concis et simple, un portrait touchant et nonchalant, un esthétisme sans autre faille qu'un léger côté ostentatoire. "Attenberg" apparaît quelque part entre l'expérience sociale, à la fois nationale et intime, et l'expérimentation artistique. Le résultat est loin d'être déplaisant.

samedi 29 octobre 2011

"We Need To Talk About Kevin", Lynne Ramsay

Votez pour votre critique préférée !!
Grand jeu concours vous permettant de gagner euh... la satisfaction de m'avoir fait sourire.

A.
Cher Rémi Bezançon, merci de regarder ce film avec attention au plus vite. Merci, bisous.

B.
"We Need To Talk About Kevin" est l'adaptation par Lynne Ramsay du roman éponyme de Lionel Shriver. Le film est porté à bout de bras par Tilda Swinton dont le jeu est une fois de plus non seulement sans failles mais aussi magistral. Elle aide à dessiner un personnage complexe et fascinant, quelque part entre la culpabilité, le pardon, l'innocence, le ressentiment et la rédemption : la mère d'un adolescent quelque peu psychopathe qui a exterminé ses camarades de lycée.


Sa psychologie est riche, dense, et magnifiquement traitée dans ses ramifications les plus complexes. Je n'ai pas lu le livre mais en ayant discuté avec la Commentatrice-Anonyme, je pense pouvoir certifier qu'une des réussites de l'adaptation est d'avoir su retranscrire par l'unique réalisation les débats internes rédigés sous forme épistolaire dans le roman. Notamment, il apparaît clair dans le film que tout est vécu selon la subjectivité d'Eva : par le récit et la mise en scène, le spectateur est transporté au plus profond de sa psyché, vivant avec elle et comprenant donc ses doutes, ses regrets, ses peurs et sa douleur. C'est à travers ses yeux, parfois effectivement biaisés, que les événements se déroulent et surtout que le portrait de son fils est dressé. C'est pourquoi celui-ci est parfois un peu trop diabolisé et manque quelque peu de l'approfondissement dont bénéficie le personnage d'Eva.


Très vite, c'est en fait leur relation qui est racontée et qui se dresse comme un troisième personnage invisible : l'impact lucide de sa naissance sur la vie d'Eva, ses difficultés réalistes à l'éduquer, jusqu'à l'établissement d'une relation conflictuelle en perpétuelle défiance mutuelle... Les situations prennent un tournant tellement terrible qu'un ressort comique y naît parfois, un rire nerveux nous échappant pour briser la tension, en vain. Et alors même que la relation semblait avoir atteint le maximum de sa complexité fascinante, un nouveau degré y est rajouté par les révélations de la fin et la scène de fermeture. Grandiose.


Angoissés et angoissants, les plans se succèdent, passent par des filtres, des flous, la violence est suggérée par des couleurs tantôt ternes, tantôt éclatantes. Des détails éloignés se renvoient sans cesse l'un à l'autre, tissant une relation complexe entre la mère et l'enfant, comme cette scène où, à la prison, le fils mutique ne fait qu'extirper de sa bouche ses dix rognures d'ongle qu'il dépose soigneusement devant lui... Elle sera rappelée subtilement bien plus tard par une scène tout aussi perturbante où Eva mange une omelette réalisée, pour se punir, avec les œufs que la mère d'un enfant tué lui a cassés au supermarché : elle retire de sa bouche les fragments de coquille et les dispose le long de son assiette.


De la même façon, une multitude de symboles narratifs se dissimule dans le long-métrage, comme cette trace rouge sang dont est maculée la façade de la maison au tout début du film par vengeance et qu'Eva mettra tout le film, et donc tout son récit de souvenirs de rédemption, à nettoyer. La narration elle-même est complexe mais efficace : les temporalités se mélangent, le récit fonctionne comme la mémoire, les souvenirs arrivant inopinément mais avec un lien assez clair, dressant des parallèles intéressants ; elle est aussi habile, car elle réserve des surprises aussi inattendues que terribles pour la fin et achève ainsi de ficeler un scénario virtuose.  A travers cela, de nombreuses questions s'élèvent sur la part de l'inné et de l'éducation, la maternité, l'importance des rêves, la culpabilité, la violence...


Le film est dur, perturbant, psychologiquement violent. Il est aussi riche, beau, profondément humain. Philosophique à sa manière. Un scénario grandement adapté, une actrice incroyable, une réalisation inventive font de "We need to talk about Kevin" un des meilleurs films de l'année.

C.
" 'We need to talk about Kevin' ? This is what I'm talking about, biatch !"

D. L'avis de Marie-Jacqueline (62).
"La mère, il faut qu'elle passe à la maison, un de ces jours, elle est tellement maigrichonne, on dirait qu'elle est malade. Je la remplumerais vite fait bien fait, moi."

mardi 25 octobre 2011

"Polisse", Maïwenn

Sûrement en raison de la campagne publicitaire assez massive qui a été réalisée autour de ce film, j'étais impatient de le voir. Pourtant, mon rapport aux travaux de Maïwenn était mitigé : j'ai trouvé très dérangeante l'idée de "Pardonnez-moi" et assez décevant le résultat du "Bal des Actrices". Cette incapacité ou ce manque de volonté à trouver la juste limite entre autofiction et documentaire me gênait (ce qui était sûrement le but) et m'agaçait (ce qui l'était peut-être un peu moins). Pourtant, cette singularité a cultivé mon envie d'aller voir le nouveau long-métrage de cette réalisatrice à part.


"Polisse", on le saura, suit la Brigade de Protection des Mineurs de Paris, dans un film choral au casting assez incroyable qui couvre toute l'équipe, et avec Maïwenn elle-même dans le rôle d'une photographe qui vient documenter les travaux quotidiens de cette équipe qui gère les problèmes de viols, de kidnappings, de violences et d'incestes sur mineurs. Le premier soulagement naît ici : Maïwenn commence enfin à trouver la bonne position par rapport à la réalité et la fiction. Elle a passé elle-même plusieurs semaines à la BPM à prendre des notes... et s'est donc créée un personnage dans ce même rôle d'observateur lui ressemblant et tombant amoureuse du personnage de Joeystarr (son (désormais ancien) compagnon). L'utilité d'un tel procédé est parfois remise en cause tant il est à la fois en retrait et maladroitement prépondérant, et tant la romance avec Fred est relativement inintéressante, mais c'est aussi cette sorte de mise en abyme permanente qui fait l'originalité. Le reste est inspiré de faits réels mais réécrit par des scénaristes (Maïwenn et Emmanuelle Bercot qui endosse aussi un rôle modeste mais réussi dans le film), joué par des acteurs, mis en scène par la réalisatrice : bref, une fiction. Le mélange a donc une saveur singulière, intéressante et surtout, très adaptée au sujet.


Un des pièges était de tomber dans la succession de "cas". Maïwenn et Bercot l'évitent soigneusement par un agencement remarquable des scènes : on suit avec une grande fluidité un personnage, puis un autre, puis encore un autre, avant de revenir vers un autre. Ainsi, tous les portraits sont brossés, tous les acteurs ont un vrai rôle, les relations sont tracées, les enjeux sont placés, les psychologies sont développées, les points de vue changent et enrichissent constamment le sujet. A travers une équipe, la richesse des thématiques abordées est impressionnante mais efficace. C'est donc sans à-coup que la relative longueur du film (plus de deux heures) se déroule, permettant au contraire une multiplicité des situations policières qui a l'intelligence de les montrer diverses, particulièrement dans le traitement de la pédophilie, où l'on voit aussi bien le riche connard qui se sait protégé de toute poursuite judiciaire que l'homme malade affligé de remords. Cette diversité se retrouve aussi dans l'émotion : on est très souvent dégoûté et horrifié, mais on est aussi viscéralement ému, notamment par l'accouchement déchirant de la jeune fille, et également soulagé par un amusement bienvenu. Maïwenn et Emmanuelle Bercot signent donc un scénario parfaitement maîtrisé.


Pour le mettre en scène, c'est sans surprise une réalisation proche du documentaire qui est choisie, doublée d'une photographie froide. Cela est un peu gâché par un montage parfois erratique, mais le film acquiert une réelle dynamique, un rythme effréné à l'image de celui des vies de ses personnages. Comme eux, la caméra est tendue, nerveuse, affutée. Elle suit des histoires, des situations, des vies. La fin du long-métrage quitte cependant cet aspect de documentaire : les situations se dénouent, les tensions éclatent, on passe par une opération policière de grande envergure et par un final volontairement spectaculaire, qui nie une certaine forme de réalisme et y préfère une narration résolument fictionnelle. C'est certes assez cohérent avec la nouvelle position de Maïwenn, mais le parallèle entre les deux scènes finales est un peu faible et, dans le contexte, cette fin à la "Cercle des Poètes Disparus" peut paraître décevante.


Le film tient cependant en grande partie sur l'interprétation, excellente pour cette cohorte d'acteurs. Si Maïwenn elle-même offre une performance correcte, elle est totalement éclipsée par Joeystarr qui, là où il avait été mauvais dans un rôle difficile et mal défini d'une version plus ou moins fictionnelle de lui-même dans "Le Bal Des Actrices", affiche ici volontairement une sensibilité et une richesse de jeu aussi inattendues que puissantes, tout en les couplant à une spontanéité parfois maladroite mais souvent bienvenue. En comparaison, Jérémie Elkaïm se fait gentiment oublier dans un rôle sur mesure (qui est en fait le seul qu'il peut prétendre à interpréter) : celui de l'intellectuel, inconfortablement introduit dans l'univers policier. Nicolas Duvauchelle, au contraire, propose une interprétation intime et touchante, tout comme Sandrine Kiberlain qui se trouve là exactement dans son terrain de jeu de prédilection. Naidra Ayadi est crédible malgré une direction parfois mauvaise, Sophie Cattani est par contre mauvaise tout court, et Louis-Do de Lencquesaing manque de nuance. Mais Marina Foïs, quant à elle, devrait voir sa photographie affichée en exemple sur les agendas de tous ces acteurs a priori coincés pour toujours dans un type de rôle, avec la mention "It Gets Better", tant sa performance prouve une fois de plus qu'elle est une très grande actrice bien trop sous-estimée. Son binôme avec Karin Viard fonctionne à merveille, et cette dernière offre elle aussi une performance juste et (enfin!) sincère.


Maïwenn semble enfin trouver avec ce film le type de cinéaste qu'elle veut être : originale mais accessible, elle dévoile une œuvre riche, à la fois maîtrisée et nerveuse, réaliste et romancée, ne se perdant que rarement dans ses paradoxes grâce à un scénario virtuose et une interprétation générale impressionnante.

lundi 24 octobre 2011

"Drive", Nicolas Winding Refn

De toute évidence, "Drive" apparaît à l’œil non averti comme la dernière grande production américaine en date. Observez l'affiche et osez me dire le contraire : à première vue, on se trouve quand même face à un film qui s'appelle "Drive", ce qui rappelle La-Plus-Grande-Daube-Que-J'Aie-Vue-Au-Cinéma-Mais-Ne-Vous-En-Faites-Pas-J'Y-Allais-Pour-Déconner, "Unstoppable" (l'histoire incroyable d'un train qui ne s'arrête plus.), ou tout autre grand film qui a l'avantage d'avoir une intrigue si complexe qu'elle peut se résumer aisément en un mot qui donnera envie à son public-cible de le voir. Ensuite, l'affiche confirme une impression de héros solitaire au volant de sa voiture prêt à faire les quatre cents coups pour multiplier les cascades super impressionnantes privant les petits Africains et les bébés phoques de millions de dollars mais en mettant plein les mirettes aux beaufs lors de leur sortie mensuelle au Kinépolis.


Mais vous êtes des lecteurs aguerris à l'oeil de lynx, je le sais. Vous remarquerez donc aisément les deux indices qui montrent que cette analyse est injuste. D'abord, le joli dessin de la palme de la mise en scène au Festival de Cannes ; ensuite, la présence de Ryan Gosling, qui, après avoir tant brillé dans "Blue Valentine", ne se serait quand même pas perdu en chemin aussi rapidement. C'est ainsi qu'il n'a fallu que trois avis positifs pour me décider : le premier a été donné par la commentatrice qui ne met pas son prénom ; le deuxième par quelqu'un qui avait été un peu déçu de l'absence des cascades sus-citées ; le dernier ici. Alors j'ai tenté l'expérience. Je ne regrette pas ! (merci les copains)

Hahahahahahaha


"Drive" est un bon film. "Drive" est en fait un des meilleurs films de son genre. Rapport à l'absence de scènes d'action du gabarit sus-cité ? Peut-être. En tout cas, niveau film d'action/thriller/que-sais-je, c'est l'archétype du long-métrage qui peut décevoir le public venu pour les cascades et ravir le public de ma sale espèce de snobinard. En effet, Nicolas Winding Refn préfère aux voitures retournées de longues scènes de son protagoniste dans sa voiture, avec une mise en scène dénotant de la relation fusionnelle, presque sensuelle qui s'établit entre les deux. Conduire est sa raison d'être et aucun doute n'est permis. La violence ne ressurgira qu'à quelques moments bien choisis, avec un réalisme déconcertant mais bienvenu; malgré quelques rares maladresses.


Cela dit, le propos est surtout de suivre le parcours d'un personnage, bien sûr très bien interprété par Ryan Gosling. Son jeu est une fois de plus impeccable, mais on reste loin de l'intensité émotionnelle de "Blue Valentine" : Winding Refn aurait sans doute pu le pousser plus loin. Le même constat opère pour Carey Mulligan, qui étonne cependant par sa crédibilité dans un rôle de femme forte et responsable, contrastant avec la douce vulnérabilité inhérente à ses traits. Le mélange mène à une interprétation riche ; c'est en fait son personnage en lui-même qui aurait pu être davantage creusé. Enfin, en terme d'interprétation, il faut saluer la performance de Bryan Cranston, dont la transition au grand écran se fait avec une facilité déconcertante, sans doute liée au fait que "Breaking Bad" possède déjà une réalisation, une photographie et en fait un concept très cinématographiques, mais qui risque de faire verdir de jalousie des acteurs moins chanceux comme Kiefer Sutherland (non je ne fais pas une fixette, c'était juste totalement infondé de le caster comme mari de Charlotte!).


Comme un tour en voiture, le film enchaîne avec sagesse les accélérations et les ralentissements, tout en maintenant un bon rythme de croisière. On est donc emmené pendant 1h40 dans un savant enchaînement de scènes où aucune place n'est laissée à l'ennui. Au contraire, les scènes "d'action" ne sont que plus choquantes par leur apparition brutale, et les scènes posées arrivent comme de jolies parenthèses qui sont en fait bien plus que ça, grâce à une mise en scène ingénieuse. On l'a dit, le film a emporté le Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes (beaucoup de majuscules). Je ne l'aurais sans doute pas attribuée à ce film, à mon sens, "Hors Satan" ou "Melancholia" ont fait cent fois mieux. Mais il est vrai qu'il faut saluer l'effort de réalisation qui a été fait : encore une fois, on fait rarement aussi bien dans ce genre cinématographique. Une bonne utilisation des plans, des couleurs, des durées. Alors je ne râle pas trop.


Là où le bât blesse, c'est plutôt au niveau de l'intrigue. Il semblerait que celle-ci est réduite au minimum pour ne pas trop dérouter le spectateur déjà décrit qui ne s'attend pas à un tel film. La densité narrative n'est jamais atteinte ; on attend que l'intrigue se précise, jusqu'à ce moment où, déjà emporté au milieu du film, on comprend que l'histoire se résumera à ça... Fait regrettable, tant elle est en fait assez banale. Un enjeu à peine dessiné, un semblant d'engrenage qui se resserre habituellement sur le personnage, quelques maigres révélations de fin de parcours, des résolutions similaires pour tous les problèmes et une fin sans trop de surprise. L'idée de base est bonne mais n'est pas poussée assez loin. A la place, on patauge sur un potentiel et on se contente de ce qu'on a trouvé.


Difficile de se tenir sur la lame du rasoir, entre les attentes des spectateurs et les aspirations supérieures ! Pourtant, dans ce genre de situation, il est souvent salvateur de tirer le maximum du concept, que les choses soient claires, définies, extrêmes. De là aurait sans doute percé totalement le génie, et tous y auraient trouvé leur compte. En attendant, même si la mise en scène, le rythme et l'interprétation élèvent le film bien au-dessus de ses camarades, on reste un peu sur notre fin, on ne parvient que partiellement à accéder à un récit qui hésite constamment entre deux publics, deux genres, deux envies.

vendredi 21 octobre 2011

"Hors Satan", Bruno Dumont

Je partais très peu paré pour un tel film. D'abord, j'étais venu voir un tout autre film d'un tout autre genre mais il s'est avéré une fois devant le cinéma que Google Cinéma m'avait MENTI de la façon la plus effrontée qu'il puisse exister et que j'étais en fait en train de me rendre à une séance imaginaire. J'ai dû choisir un autre film sur le tas. Ce choix s'est porté sur "Hors Satan", d'après la bande-annonce étrange que j'avais vue du film qui à la fois m'intriguait et me faisait savoir que je ne reviendrais probablement pas de moi-même pour voir ce film-là. Quand on sait à quel point "Hors Satan" est un film dur, mon acheminement jusqu'à lui apparaît comme la parfaite recette vers le désastre ; et pourtant.


"Hors Satan" est un film dont on ne peut pas vraiment résumer l'histoire. Il traite de deux personnages dans un petit village de la Côte d'Opale, qui ne seront jamais nommés. L'homme est une sorte de nomade qui vit dans les dunes et rencontre tous les jours une jeune femme qui s'occupe de lui. Ensemble, ils se promènent, se comprennent, s'aiment à leur manière ; et il la protège, envers et contre tout, par tous les moyens possibles et (in)imaginables. Sans en révéler davantage, le titre oriente bien sûr vers une signification, si ce n'est religieuse, au moins fortement mystique. En sort une production mystique et singulière.

Vous l'aurez compris, ce n'est pas un film qui peut se reposer sur son récit ou son intrigue. De longues séquences alternent paysages du Pas-de-Calais et longs silences entre les deux protagonistes. Et pourtant, jamais l'ennui ne vient poindre. C'est un exploit en soi, et cela tient à deux aspects. Le premier est une mise en scène magnifique, digne d'un Lars Von Trier à la Française, tant chaque plan est un tableau, une recherche vers un esthétisme puissant et violent. Ainsi, il peut s'écouler de nombreuses secondes sur un plan fixe sans que l'on n'attende le prochain, tant c'est au contraire l'occasion de décortiquer chaque parcelle du grand écran. Cette beauté n'est, de plus, jamais vaine ; elle n'est pas représentée dans une seule visée esthétique, mais sert quelque chose, un message, une émotion, une force.


Le second aspect qui fait la force du film est le jeu des acteurs. Aidés par leur physique sur mesure de gueules cassées, David Dewaele et Alexandra Lematre réussissent à établir une richesse dans l'élaboration de leurs personnages respectifs et de leur relation mutuelle, ce qui est incroyablement méritoire face à la difficulté des rôles et la pauvreté en dialogues. Les personnages supplémentaires sont au maximum évacués du film, ainsi les quelques autres acteurs ne feront que des apparitions furtives mais bien dirigées. Et en dépit de tout, les deux personnages principaux fonctionnent à merveille. On oublie de se demander comment ils se connaissent, qui ils sont réellement, ce qui les lie si intimement, tant leur interprétation sonne juste.


A travers ces deux Eros et Thanatos modernes résonnent les thèmes intemporels de la sexualité, de la mort, du châtiment, de la folie, du crime, le tout à travers des questions sombres, troublantes et violentes, surtout dans la seconde partie dont certaines scènes (une notamment) deviennent difficiles à regarder. Au-dessus de tout cela s'élève évidemment la notion de foi. Malgré les évidentes références bibliques, la question de l'appartenance religieuse est cela dit écartée, par la sobriété des prières et le non-conformisme des "méthodes". Ne subsiste donc qu'un grand point d'interrogation mystique, qui finit par repousser les limites du fantastique. On ne sait plus quoi croire, on ne sait plus ce qu'on doit croire, mais on sait que ce n'est pas ça l'important.


"Hors Satan" n'est pas une expérience grand-public. Il s'agit d'un film que l'on pourrait trouver ennuyeux si l'on n'est pas sensible à l'esthétisme, décousu si l'on s'attache trop à la prépondérance de l'intrigue, répugnant si l'on n'a pas l'estomac bien accroché, insupportable de manière générale. Mais si l'on ne répond pas à ces critères et que l'on parvient à se laisser aller dans une expérience philosophique, on ressort avec la tête à l'envers, l'estomac retourné, le regard flou, certes, mais avec la certitude d'avoir vécu une vraie expérience de cinéma et d'art.

jeudi 20 octobre 2011

"Un Heureux Evénement", Rémi Bezançon

J'avais beaucoup aimé "Le Premier Jour du Reste de ta Vie", un peu comme on aime le dernier single de Katy Perry ou une pizza de chez Domino's (non pas que ce soit mon cas pour l'un ni pour l'autre, j'ai des standards de PIFBP, moi, bordel.) : on sait que ce n'est pas super génial mais ça nous fait du bien quand même. Au moins, le précédent film de Bezançon arborait une sincérité et une fraîcheur que le côté un peu bon chic bon genre ne parvenait pas à contrer totalement, et le sacro-saint processus d'identification (de manière relativement semblable au "Skylab" de Julie Delpy dont j'ai parlé la dernière fois, chers lecteurs assidus) fonctionnait comme un charme. Pour "Un Heureux Evénement", j'étais plus sceptique.

Fais gaffe Louise, tu pointes à mort.

Le premier point de mon scepticisme s'appelait Louise Bourgoin. La dondon de Canal Plus me saoûlait : je la trouvais fausse, agaçante et surestimée. Mais je suis quand même allé voir ce film, où elle s'est avérée omniprésente (je pense qu'il ne comporte pas de scènes où elle est absente...). Et elle s'est en fait rachetée par son interprétation : voilà comment moi qui me suis réconcilié avec Chiara Mastrioanni, je me suis réconcilié avec Louise Bourgoin, tant sa performance était juste, souvent modérée et sincère. Il est clair qu'elle a effectué un réel travail, et que celui-ci a porté ses fruits. (Ne vous en faites pas, je ne vais pas me réconcilier avec tout le monde, et puis je trouverai bien d'autres actrices à détester, sinon ce ne serait plus drôle ; d'ailleurs tant que Mathilde Seigner existe, il y a de l'espoir, et puis, Ludivine Sagnier est en bonne voie de reprendre le flambeau. Ne partez pas donc.)


D'ailleurs, pendant qu'on en parle, Josiane Balasko, au contraire, m'a grandement déçu dans ce film : toutes ses répliques sonnaient faux, à cause de sa diction et de son interprétation générale, ne donnant aucune crédibilité au rôle quelque peu caricatural de la mère de l'héroïne. Pio Marmaï, de son côté, allie belle gueule (etbeaucul) et jeu correct. Et la chanteuse Anaïs qui tient un second rôle démontre pourquoi chacun devrait plutôt rester chez soi pour que les moutons soient bien gardés.


Le second point de mon scepticisme concernait le thème. Cela fleurait bon le "faisons pleurer dans les chaumières", tout de même. D'accord, je suis pas une maman, je peux pas comprendre, et blablabla. Cette seconde crainte s'est révélée bien plus fondée. Le film suit un schéma on ne peut plus linéaire : de l'envie de grossesse jusqu'à l'accouchement puis les neuf mois suivants... Le tout réparti équitablement en terme de temps d'écran, ce qui n'est pas forcément judicieux et amène quelques traites d'ennui. J'avoue cependant trouver méritoire cette volonté de dépeindre un côté plus réaliste de la maternité, moins lisse-rose-glamour-la-plus-belle-chose-au-monde. Et même si elles se prennent régulièrement les pieds dans le tapis, les scènes s'enchaînent cependant assez facilement dans un humour bon-enfant et une émotion parfois présente, notamment dans la scène volontairement déchirante de l'accouchement.


En ce qui concerne la représentation de la vie quotidienne, Bezançon en fait des tonnes. Cela fonctionne souvent, parce qu'en effet, ses spectateurs sont tous des gens comme tout le monde. Même moi cher lecteur, même si j'admets que si je n'étais pas à peu près certain que personne ne lira ces lignes, je me garderais bien de le confesser. On rentre dans le jeu un peu malgré soi, parce que Bezançon applique à la lettre une recette sans saveur mais familière. Et ça pleure dans les chaumières, donc. Alors oui, ça fonctionne. Mais c'est facile. C'est même pétri de bons sentiments à en donner la nausée, jusqu'à vomir totalement à la phrase finale. On  en ressort donc avec une impression un peu pâteuse et le teint sûrement légèrement cireux.

Ceci n'est pas un montage.
Le vrai problème, c'est que Bezançon ne fait pas de cinéma. Il n'apporte aucune innovation dans la mise en scène ou la réalisation. Les couleurs sont jolies, ok ; et ça s'arrête là. La comparaison avec d'autres films français actuellement à l'affiche est troublante. Aucune recherche d'esthétisme, aucune créativité ni inventivité, mais des plans aussi ennuyeux que ceux d'une série télé lambda. La définition même de l'absence de style ; le Werber du grand écran. Et c'est alors que les maladresses scénaristiques n'en ressortent que plus vivement. Ainsi, "Un heureux événement" arrive à un résultat à la hauteur de ses faibles ambitions : "parler au plus grand nombre". Et pour ça, parlons de choses simples et plus ou moins touchantes mais, grands dieux, évitons à tout prix de faire de l'art, ça pourrait empêcher le quidam de pleurnicher devant un long-métrage sans surprise mais ô combien porteur "d'événements de vie auxquels on peut si aisément s'identifier". Chacun son trip.

samedi 15 octobre 2011

"Le Skylab", de Julie Delpy

Julie Delpy revient après le très bon "Two Days in Paris". Cette fois, le focus est déplacé depuis le couple à la famille : on passe de deux personnages à une multitude chorale. En découle une évolution mitigée.



"Le Skylab" a, en réalité, peu à voir avec son titre. Ce nom ne fait que recentrer le récit, comme cela sera régulièrement fait le long du film, sur le point de vue d'Albertine, la fillette de onze ans qui entre péniblement dans l'adolescence, et qui vit cette journée en famille de la fin des années 70 encore avec des yeux d'enfants effrayé et subjugué devant une lointaine menace stellaire. En effet, le récit se concentre sur le souvenir de vingt-quatre heures pendant lesquelles une famille élargie se retrouve à l'occasion de l'anniversaire de la matriarche. Pendant cette journée, alterneront les éclats de rire, les disputes, les révélations, les discussions, les anecdotes, les pleurs et les chants. Une réunion de famille somme toute normale.


Et on touche là au cœur du film : Julie Delpy semble vouloir à tout prix enclencher le processus d'identification du spectateur au personnage. Et effectivement, il est difficile de ne pas reconnaître sa propre famille dans cette galerie de personnages hauts en couleur et amusants. Leur grand nombre étouffe parfois et surtout limite le développement de la psychologie de chacun, mais le propos semble plutôt de les identifier chacun, et il est vrai qu'ils laissent tous un souvenir assez définissable. Cela est aidé par une interprétation souvent très correcte : Noémie Lvovsky amuse dans un rôle bien différent de la Madame de "L'Apollonide" mais tout à fait maîtrisé. Le temps de parole de Julie Delpy est considérablement réduit par cette foule d'acteurs ; ainsi que les nombreux d'entre vous qui ne supportez pas son jeu soient rassurés. Pour ma part, j'ai trouvé sa performance agréable, bien qu'un peu toujours trop frontale, avec un bon rapport avec Eric Elmosnino.


Quant à elles, Bernadette Lafont et Aure Atika proposent des interprétations un peu lisses et maniérées comme souvent, et Valérie Bonneton aurait gagné à creuser davantage son jeu. Cela dit, globalement, l'interprétation d'ensemble reste correcte et aide à porter ce film chargé. En réalité, le véritable exploit appartient à la jeune Lou Alvarez, qui livre une performance très talentueuse, et surtout jamais agaçante (ce qui est quand même très rare pour un enfant acteur ! Ah, les souvenirs de l'insupportable M.J. dans "Desperate Housewives"...).


Est alors dépeinte une succession de scènes souvent cocasses, et sincèrement drôles (on le pendouillera, on le pendouillera...), avec un essai à quelques touches presque politiques et un très rare éclairage sur des sujets plus sérieux. Le long-métrage est donc indéniablement comique, en touchant par sa fraîcheur et sa forme de réalisme, aidées par une réalisation joyeuse, colorée et une mise en scène délicieusement kitsch. Un véritable travail de "vulgarisation", au sens noble du terme, a sûrement été effectué dans l'écriture du scénario par Julie Delpy, dans ce sens où il est quasiment impossible de ne pas retrouver des aspects propres à sa famille, par l'universalité des conflits, des réactions, des caractères et des situations. Cela dit, tout cela vient au détriment d'une réelle histoire : le film ne restera d'un bout à l'autre qu'une suite d'anecdotes ; on renonce très rapidement à y voir une intrigue.

Cela ne serait en soi pas gênant si le tout était relevé par un message, à la manière de "Two Days in Paris", où les deux heures de dialogues sans fin étaient non seulement agrémentées d'un réel approfondissement de la psychologie des personnages et d'une dissection précise du sujet des relations amoureuses, mais se terminaient surtout sur une conclusion puissante, résonnant de justesse et de beauté. Ici, ce moment, on aura beau l'attendre, l'espérer même dans la rapide avancée dans le temps (où Karin Viard représente le personnage d'Albertine plus âgé), il ne viendra jamais. Le long-métrage aura donc, comme les tabloïds le désigneront, été "1h30 de bonheur pur", "un vrai moment de divertissement", "une comédie délicieuse", certes, mais rien de plus. Peut-on vraiment nous reprocher d'en attendre davantage de Julie Delpy ?

jeudi 13 octobre 2011

"Les Bien-Aimés", Christophe Honoré

Après des essais stylistiques tels que "Homme au bain" et "La belle personne", et l'ode à sa muse dans "Non ma fille tu n'iras pas danser", Christophe Honoré revient à ses premières (chansons d')amours en réunissant toute sa petite famille cinématographique, un casting devenu routinier mais fonctionnant toujours en tant qu'ensemble, et Alex Beaupain aux commandes pour les chansons de cette nouvelle comédie musicale moderne.


Une innovation notable est le déploiement spatio-temporel : loin de se limiter à une ville ("Dans Paris") ou à un arrondissement ("Les Chansons d'Amour"), "Les Bien-Aimés" navigue dans le temps et l'espace, explorant les difficultés amoureuses des années 1970 à aujourd'hui, en traversant Prague, Paris, Londres, Montréal et Reims... Cette évidente volonté d'universalité est cela dit quelque peu sclérosée par le schéma malheureusement très linéaire de la narration ; se permettre une fantaisie bienvenue aurait sans nul doute été soutenu par la multiplicité des acteurs. Cela n'empêche un plaisir indéniable face à ce voyage coloré à travers les époques et les pays.


C'est ainsi une poignée de personnages que l'on suit à travers les âges : Ludivine Sagnier offre une bien piètre performance, au terminus de la lignée de ses pauvres interprétations précédentes, et c'est d'autant plus visible dans la mesure où elle joue le même personnage que Catherine Deneuve - bien que le jeu figé de cette dernière confirme quelque peu cette triste idée qu'il est peut-être temps d'arrêter, malgré le plaisir que procure sa présence. Louis Garrel, de son côté, est égal à lui-même, dans un rôle créé encore une fois sur mesure par Christophe Honoré, et qui le conforte dans un territoire habituel sans étincelle. La surprise se trouve plutôt du côté de Chiara Mastroianni, qui, malgré un rôle là aussi bien similaire à ce qu'elle a fait par le passé avec le cinéaste, offre une interprétation riche, nuancée et profonde qui m'a réconcilié avec cette actrice qui ne me renvoyait que la froide image d'un jeu limité jusqu'alors. Elle apparaît comme celle qui passe le plus pour le personnage plutôt que pour l'actrice, malgré la mise en scène ostentatoire de son rapport avec Deneuve et l'obsession inquiétante d'Honoré de faire coucher ses personnages avec des garçons homosexuels.

Le propos était sans doute de mettre en relief les difficultés amoureuses invariables à travers les générations. Une impression d'immobilité frustrée et frustrante en découle donc mais le tout baigne dans une mélancolie assez magnifique, presque comparable aux "Chansons d'Amour", et qui marque par une réalisation assez léchée malgré quelques maladresses. Cela compense quelque peu le manque relatif de vraie intrigue. Les personnages se trouvent dans des situations où ils s'enferment et se définissent, l'exercice est intéressant mais parfois ennuyeux, d'autant plus à cause de la durée du long-métrage (plus de deux heures). Les différents événements historiques nourrissent l'histoire et glissent sur les personnages, offrant un regard intéressant sur l'effet qu'ils peuvent avoir sur une vie.


La forme retrouvée de la comédie musicale vient aussi quelques fois rompre cette faible monotonie, par des chansons souvent très plaisantes et bien écrites : Alex Beaupain effectue là encore un merveilleux travail de parolier. Dommage que la musique "clocloïsante" ne suive pas ; du côté des interprétations, il est évident que le but n'est pas d'enregistrer une chanson d'une qualité vocale irréprochable mais bien de servir le film, et cet objectif est souvent atteint. C'est avec plaisir que j'ai retrouvé certains morceaux après le film, avec surtout "Qui aimes-tu ?", "Ici Londres" ou encore "Puisque tu m'aimes", malheureusement coupée au montage, et l'hymne du film : "Je peux vivre sans toi"/"Je ne peux vivre sans t'aimer".


"Les Bien-Aimés" reste donc un film agréable, malgré une forme sclérosante car trop linéaire et un fond pas assez creusé. Il est clair que le digne successeur des "Chansons d'Amour" n'est pas encore arrivé, mais en l'attendant, "Les Bien-Aimés" propose une bonne distraction malgré son manque d'ambition que peinent à corriger les quelques nouveautés.

mercredi 12 octobre 2011

"L'Apollonide - Souvenirs de la maison close", Bertrand Bonello

J'aime beaucoup le cinéma français. Pourtant, en témoignant de la qualité de ce film, j'ai été surpris que les dialogues soient dans la langue de Molière et que le casting soit gaulois, tant sa démarche semble aux antipodes du cinéma français traditionnel, tout en s'en réclamant et en transcendant ses habitudes. Une vraie réussite.


Comme le titre le sous-entend, le film suit la vie d'une maison close à travers les yeux de ses habitantes, de sa "Madame" et de ses clients, montrant les aspects glamour, orchestré et terrifiant de l'endroit tabou. Les points de vue se multiplient, accordant une importance similaire à de nombreux personnages dont la psychologie se trouve développée avec soin. Les différentes prostituées portent sur leur métier, qui fut un choix et est désormais vécu comme un emprisonnement, un regard clair, libre et contrit à la fois. En ressort une fresque étonnante, réaliste et extrêmement troublante.

A l'image du lieu auquel il s'attache, le film arbore un esthétisme sans faille, avec des plans d'une beauté rare, aux couleurs soignées et à la mise en scène sublime, et ce bien qu'il quitte rarement la lugubre maison. Les sorties en plein air sont vécues avec le même soulagement que les personnages qui échappent pour l'espace de quelques heures à cet environnement anxiogène, sombre et claustrophobe, dont elles se détachent, lumineuses sur un fond obscur. La photographie, les costumes et l'éclairage achèvent la création d'un microcosme à la beauté tout aussi calculée que la plastique travaillée des actrices et de leurs personnages.




Le piège était donc de tomber dans un esthétisme exclusif, aussi ciselé et vide de sens que les rencontres organisées par le lupanar ; le métrage l'évite habilement. La narration est complexe mais claire, multipliant les énonciations et dénivelant le temps, dans un lent et inquiétant mouvement d'entropie. Elle s'aventure au plus intime des psychés des personnages, révélant leurs rêves et leurs craintes, orchestrant le tout autour de cet événement choquant qui se produit au début mais est savamment distillé à travers toute l'histoire, montrant son visage peu à peu, face à un spectateur partagé entre le voyeurisme et le dégoût.

Les dialogues, directs et cruels, s'enchaînent, s'intercalent de séquences oniriques et de scènes silencieuses ouvrant une fenêtre sur la vérité des personnages. Évidemment, tout fonctionne sur le jeu incroyable de cette cohorte d'actrices superbes, au centre desquelles trône Noémie Lvovsky, impeccable en Madame dure et juste à la fois, dans un rôle bien différent de celui du "Skylab" (vu le lendemain dans un tout autre registre!). Alice Barnole impressionne indéniablement par un jeu en retenue troublant et émouvant, et Céline Sallette marque de façon inexplicable par une interprétation riche, profonde et vertueuse. C'est en fait le casting tout entier qui mériterait une récompense d'ensemble.


Le tout baigne dans une subtilité rare, rendant la production non pas explicative mais représentative, avec un choix d'événements quotidiens incroyablement révélateurs du déroulement de la vie en cet endroit et de la façon de penser des personnages. Perce alors la même ambiguïté que face à l'attaque de la Juive : le spectateur est pris en otage, enfermé dans ce lieu malsain, obligé d'assister à la froide torture de ces femmes, sans cesse troublé et traumatisé, attendant et craignant la fin de la même façon que les prostituées perçoivent la fermeture prochaine de l'endroit qui est devenu, qu'elles le souhaite ou non, leur seule maison. Tout est vécu comme une évidence, une fatalité : aucun jugement ne ressort du film, qui semble toutefois vouloir délivrer un message peu clair avec notamment un épilogue surprenant et au sens obscur et hésitant. C'est alors au spectateur de sortir de son voyeurisme : en cherchant un message politique dans cette œuvre magnifique, il ne se confrontera qu'à son propre avis.

"L'Apollonide" est un film d'une qualité rare, d'un esthétisme marquant et d'une narration quasiment parfaite, qui dépeint sans tabou ni jugement un univers sombre qui pousse le spectateur aux limites de son voyeurisme et le laisse sortir profondément troublé.

mardi 11 octobre 2011

"La Brindille", Emmanuelle Millet

Cela fait longtemps que je n'ai pas posté, pourtant je suis allé cinq fois au cinéma la semaine dernière - ceci expliquant peut-être cela, paradoxalement. Mais donc, allons-y, Alonso !


"La Brindille" est le premier film d'Emmanuelle Millet. Il présente l'histoire de Sarah, très jeune femme qui apprend soudain qu'elle a subi un déni de grossesse et qu'elle est enceinte de six mois. Elle qui commence tout juste à construire sa vie indépendante décide d'accoucher sous X et emménage en attendant dans une structure accueillant les femmes enceintes en difficulté. Ce sont donc deux thèmes assez riches, rares et presque tabous qui sont traités ici. La focalisation sur le parcours du personnage principal éclipse cela dit un peu la découverte du déni de grossesse et ses conséquences psychologiques : son traitement disparaît presque aussi rapidement qu'il est apparu, renforçant certes le côté imprévisible et insaisissable d'une telle pathologie, et dressant le portrait parfois réaliste d'une communauté médicale un peu sourde, mais ne laissant la place qu'à peu de ramifications à ce sujet.


Cependant, cela dégage plus d'espace pour le traitement de cette grossesse invisible, dont Sarah va devoir s'accommoder alors même qu'elle n'en perçoit pas les changements inhérents. Son évolution est touchante, entre la réalité physique qu'elle doit accepter, et la tentation de continuer sa vie comme si de rien n'était, comme un mauvais moment à passer sans trop de conséquence. Tout cela menant évidemment à l'accouchement en lui-même, dont le traitement apparaît bien plus exhaustif, dans une succession de scènes dépourvues de jugement et emplies d'émotion déchirante mais cruellement sincère.


Le film en lui-même apparaît, si l'on peut dire, fortement français, dans la réalisation lente, la photographie aux couleurs doucement chaudes, la mise en scène simple, c'est presque un cas d'école, qui rappelle les frères Dardenne par exemple, laissant un souvenir frais même si on apprécierait parfois que la cinéaste sorte des sentiers battus. La narration est sobre, le scénario est assez simple, peut-être parfois un peu trop, rappelant presque le téléfilm parfois. Heureusement, en réalité, le long-métrage est porté par le jeu de Christa Theret, dont la candeur spontanée laisse entrevoir seulement quelques très rares failles attachantes, mais bouleverse par sa force générale. L'actrice brillamment dirigée dessine un personnage complexe, à la fois fort et fragile. En ce qui concerne les autres (rares) personnages, on retiendra notamment Laure Duthilleul qui livre là une performance sans faute, et le jeune et touchant Johan Libéreau.


Ainsi, avec un thème accrocheur et original, une réalisation encore un peu facile, et une histoire touchante faisant la part belle à la simplicité, il s'agit là d'un premier film agréable, parfois maladroit mais, pour finir, assez prometteur.