vendredi 21 octobre 2011

"Hors Satan", Bruno Dumont

Je partais très peu paré pour un tel film. D'abord, j'étais venu voir un tout autre film d'un tout autre genre mais il s'est avéré une fois devant le cinéma que Google Cinéma m'avait MENTI de la façon la plus effrontée qu'il puisse exister et que j'étais en fait en train de me rendre à une séance imaginaire. J'ai dû choisir un autre film sur le tas. Ce choix s'est porté sur "Hors Satan", d'après la bande-annonce étrange que j'avais vue du film qui à la fois m'intriguait et me faisait savoir que je ne reviendrais probablement pas de moi-même pour voir ce film-là. Quand on sait à quel point "Hors Satan" est un film dur, mon acheminement jusqu'à lui apparaît comme la parfaite recette vers le désastre ; et pourtant.


"Hors Satan" est un film dont on ne peut pas vraiment résumer l'histoire. Il traite de deux personnages dans un petit village de la Côte d'Opale, qui ne seront jamais nommés. L'homme est une sorte de nomade qui vit dans les dunes et rencontre tous les jours une jeune femme qui s'occupe de lui. Ensemble, ils se promènent, se comprennent, s'aiment à leur manière ; et il la protège, envers et contre tout, par tous les moyens possibles et (in)imaginables. Sans en révéler davantage, le titre oriente bien sûr vers une signification, si ce n'est religieuse, au moins fortement mystique. En sort une production mystique et singulière.

Vous l'aurez compris, ce n'est pas un film qui peut se reposer sur son récit ou son intrigue. De longues séquences alternent paysages du Pas-de-Calais et longs silences entre les deux protagonistes. Et pourtant, jamais l'ennui ne vient poindre. C'est un exploit en soi, et cela tient à deux aspects. Le premier est une mise en scène magnifique, digne d'un Lars Von Trier à la Française, tant chaque plan est un tableau, une recherche vers un esthétisme puissant et violent. Ainsi, il peut s'écouler de nombreuses secondes sur un plan fixe sans que l'on n'attende le prochain, tant c'est au contraire l'occasion de décortiquer chaque parcelle du grand écran. Cette beauté n'est, de plus, jamais vaine ; elle n'est pas représentée dans une seule visée esthétique, mais sert quelque chose, un message, une émotion, une force.


Le second aspect qui fait la force du film est le jeu des acteurs. Aidés par leur physique sur mesure de gueules cassées, David Dewaele et Alexandra Lematre réussissent à établir une richesse dans l'élaboration de leurs personnages respectifs et de leur relation mutuelle, ce qui est incroyablement méritoire face à la difficulté des rôles et la pauvreté en dialogues. Les personnages supplémentaires sont au maximum évacués du film, ainsi les quelques autres acteurs ne feront que des apparitions furtives mais bien dirigées. Et en dépit de tout, les deux personnages principaux fonctionnent à merveille. On oublie de se demander comment ils se connaissent, qui ils sont réellement, ce qui les lie si intimement, tant leur interprétation sonne juste.


A travers ces deux Eros et Thanatos modernes résonnent les thèmes intemporels de la sexualité, de la mort, du châtiment, de la folie, du crime, le tout à travers des questions sombres, troublantes et violentes, surtout dans la seconde partie dont certaines scènes (une notamment) deviennent difficiles à regarder. Au-dessus de tout cela s'élève évidemment la notion de foi. Malgré les évidentes références bibliques, la question de l'appartenance religieuse est cela dit écartée, par la sobriété des prières et le non-conformisme des "méthodes". Ne subsiste donc qu'un grand point d'interrogation mystique, qui finit par repousser les limites du fantastique. On ne sait plus quoi croire, on ne sait plus ce qu'on doit croire, mais on sait que ce n'est pas ça l'important.


"Hors Satan" n'est pas une expérience grand-public. Il s'agit d'un film que l'on pourrait trouver ennuyeux si l'on n'est pas sensible à l'esthétisme, décousu si l'on s'attache trop à la prépondérance de l'intrigue, répugnant si l'on n'a pas l'estomac bien accroché, insupportable de manière générale. Mais si l'on ne répond pas à ces critères et que l'on parvient à se laisser aller dans une expérience philosophique, on ressort avec la tête à l'envers, l'estomac retourné, le regard flou, certes, mais avec la certitude d'avoir vécu une vraie expérience de cinéma et d'art.

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