mercredi 12 octobre 2011

"L'Apollonide - Souvenirs de la maison close", Bertrand Bonello

J'aime beaucoup le cinéma français. Pourtant, en témoignant de la qualité de ce film, j'ai été surpris que les dialogues soient dans la langue de Molière et que le casting soit gaulois, tant sa démarche semble aux antipodes du cinéma français traditionnel, tout en s'en réclamant et en transcendant ses habitudes. Une vraie réussite.


Comme le titre le sous-entend, le film suit la vie d'une maison close à travers les yeux de ses habitantes, de sa "Madame" et de ses clients, montrant les aspects glamour, orchestré et terrifiant de l'endroit tabou. Les points de vue se multiplient, accordant une importance similaire à de nombreux personnages dont la psychologie se trouve développée avec soin. Les différentes prostituées portent sur leur métier, qui fut un choix et est désormais vécu comme un emprisonnement, un regard clair, libre et contrit à la fois. En ressort une fresque étonnante, réaliste et extrêmement troublante.

A l'image du lieu auquel il s'attache, le film arbore un esthétisme sans faille, avec des plans d'une beauté rare, aux couleurs soignées et à la mise en scène sublime, et ce bien qu'il quitte rarement la lugubre maison. Les sorties en plein air sont vécues avec le même soulagement que les personnages qui échappent pour l'espace de quelques heures à cet environnement anxiogène, sombre et claustrophobe, dont elles se détachent, lumineuses sur un fond obscur. La photographie, les costumes et l'éclairage achèvent la création d'un microcosme à la beauté tout aussi calculée que la plastique travaillée des actrices et de leurs personnages.




Le piège était donc de tomber dans un esthétisme exclusif, aussi ciselé et vide de sens que les rencontres organisées par le lupanar ; le métrage l'évite habilement. La narration est complexe mais claire, multipliant les énonciations et dénivelant le temps, dans un lent et inquiétant mouvement d'entropie. Elle s'aventure au plus intime des psychés des personnages, révélant leurs rêves et leurs craintes, orchestrant le tout autour de cet événement choquant qui se produit au début mais est savamment distillé à travers toute l'histoire, montrant son visage peu à peu, face à un spectateur partagé entre le voyeurisme et le dégoût.

Les dialogues, directs et cruels, s'enchaînent, s'intercalent de séquences oniriques et de scènes silencieuses ouvrant une fenêtre sur la vérité des personnages. Évidemment, tout fonctionne sur le jeu incroyable de cette cohorte d'actrices superbes, au centre desquelles trône Noémie Lvovsky, impeccable en Madame dure et juste à la fois, dans un rôle bien différent de celui du "Skylab" (vu le lendemain dans un tout autre registre!). Alice Barnole impressionne indéniablement par un jeu en retenue troublant et émouvant, et Céline Sallette marque de façon inexplicable par une interprétation riche, profonde et vertueuse. C'est en fait le casting tout entier qui mériterait une récompense d'ensemble.


Le tout baigne dans une subtilité rare, rendant la production non pas explicative mais représentative, avec un choix d'événements quotidiens incroyablement révélateurs du déroulement de la vie en cet endroit et de la façon de penser des personnages. Perce alors la même ambiguïté que face à l'attaque de la Juive : le spectateur est pris en otage, enfermé dans ce lieu malsain, obligé d'assister à la froide torture de ces femmes, sans cesse troublé et traumatisé, attendant et craignant la fin de la même façon que les prostituées perçoivent la fermeture prochaine de l'endroit qui est devenu, qu'elles le souhaite ou non, leur seule maison. Tout est vécu comme une évidence, une fatalité : aucun jugement ne ressort du film, qui semble toutefois vouloir délivrer un message peu clair avec notamment un épilogue surprenant et au sens obscur et hésitant. C'est alors au spectateur de sortir de son voyeurisme : en cherchant un message politique dans cette œuvre magnifique, il ne se confrontera qu'à son propre avis.

"L'Apollonide" est un film d'une qualité rare, d'un esthétisme marquant et d'une narration quasiment parfaite, qui dépeint sans tabou ni jugement un univers sombre qui pousse le spectateur aux limites de son voyeurisme et le laisse sortir profondément troublé.

1 commentaire:

  1. Pierre, expert en prostitution24 avril 2012 à 22:30

    Deuxième meilleur film de 2011. Pour quiconque s'intéresse un temps soit peu à la question de la prostitution (oui, je sais, bonjour je suis expert en prostitution, bisous) trés bon témoignage sur le quotidien d'une maison close. Mais bon question ? Pourquoi insister sur la scène du Joker ??? On le sait que c'est horrible.

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