"Take Shelter" rapporte l'histoire d'un homme qui commence à faire d'inquiétants cauchemars apocalyptiques : malgré ses antécédents familiaux de schizophrénie, il penche de plus en plus vers la thèse comme quoi la tempête qu'ils annoncent est en fait imminente...
C'est donc dans l'Est des Etats-Unis que se déroule le film : pavillons proprets, champs à foison et menaces de tornades sont au programme. Les hommes travaillent au chantier tandis que les femmes organisent des soirées, et les LaForche sont ainsi représentés comme une famille américaine banale. Bien que ce soit sûrement une des choses qui mènera le protagoniste dans la peur et la folie, ce trait ne sera jamais vraiment appuyé : si ce n'est une critique, au moins un regard plus prononcé sur l'Amérique d'aujourd'hui aurait été sans doute appréciable, sans pour autant tomber dans l'habituel et émétique parallèle sur la crise économique. Néanmoins, l'ambiance est bien posée, grâce aussi à une photographie très travaillée et une qualité d'image impeccable, dans cet environnement à la fois citadin et rural. Là se lie un éternel rapport de l'homme à la terre, qui sera subtilement remplacé au cours du film par l'obsession de l'abri, qui finira par occuper chaque scène, à l'image de sa prépondérance dans l'esprit paniqué de Curtis LaForche.
C'est donc le point de vue de Curtis qui est utilisé lors de tout le long-métrage. La performance de Michael Shannon ne laisse pas à désirer, bien qu'il soit parfois légèrement éclipsé par l'immense et sublime Jessica Chastain, qui est définitivement en train de s'établir une place parmi les meilleures actrices du moment. Ainsi, le spectateur connaît, comme le personnage principal, l'oscillation épuisante entre les rêves et la réalité. Malheureusement, le schéma narratif des rêves étant extrêmement redondant, leur intérêt est rapidement réduit une fois que l'on en a compris le principe, et il est de plus plombé par une réalisation pseudo-film-d'horreur mal venue. L'intérêt se situe plutôt du côté de la réalité, où l'on assiste à la lente descente de Curtis LaForche dans l'obsession paranoïaque. Si cette évolution peut être intéressante à regarder car le personnage est ciselé avec réflexion, il apparaît néanmoins que très rapidement, l'enjeu s'essouffle et le film devient beaucoup trop long : on se retrouve à observer Curtis évacuer progressivement de sa vie tous les éléments qui l'effraient, et sa vraie plongée dans la panique arrive abrupte mais arrive tard.
C'est alors que la limite entre le réel et l'imaginaire devient intéressante, voire trépidante, amenant le public à s'interroger à chaque péripétie sur la véracité des cauchemars : Curtis est-il fou ou voyant ? L'interrogation sans cesse renouvelée parvient à être trépidante vers la fin du film. Elle est malheureusement gâchée par une très mauvaise fin, à la fois superflue et surtout non assumée. Nichols, au lieu de s'arrêter sur un merveilleux passage, après une scène riche en tension et en émotion, choisit d'ajouter une dizaine de minutes inutiles, comme pour créer un dernier twist tout à fait dispensable, comme s'il voulait épaissir son histoire par un dernier retournement de situation. Mais le film, trop occupé à montrer les incessantes pérégrinations mentales de son personnage, n'a pas préparé le terrain pour cette fin. Et surtout, l'interprétation laissée ouverte au spectateur sonne davantage comme une paresse que comme une idée de génie.
Si "Take Shelter" a été encensé par la critique (4.6/5 sur Allociné), rapproché de la portée métaphysique de "The Tree Of Life" ou de la toute-puissance narrative et suggestive de "Melancholia", il convient ici de calmer les ardeurs. Le film de Nichols est certes bon, mais se cache trop derrière sa réalisation réfléchie, ses acteurs talentueux, sa mise en scène précise, pour dissimuler son incapacité à mener une critique, dresser le portrait d'une génération ou tout simplement dire quelque chose. A la place, le soufflé retombe un peu : après une histoire un peu lente mais qui comporte des scènes très réussies et des idées captivantes, tout est saboté, comme si soudain Nichols craignait qu'on lui reproche son manque de créativité. On aurait préféré une œuvre cohérente et moins prétentieuse - dommage.
Ce rapport à la terre...
RépondreSupprimerce côté main-dans-la-glaise était quasi Patrick Swayzien, et je en cite que mes meilleures références.