vendredi 27 janvier 2012

"Bruegel, le Moulin et la Croix", Lech Majewski

Cet étrange film historique retrace une journée pendant laquelle vivent les personnages du tableau "Le Portement de Croix" de Bruegel l'Ancien, journée expliquant ses choix de composition de l’œuvre.


Ce qui choque tout de suite, ce sont les procédés esthétiques utilisés absolument inédits. Les décors mélangent décors réels, images 3D et inclusions picturales (dudit tableau, donc). Le résultat est toujours beau et hybride, à la fois suranné et moderne, plat et en relief, faux et réaliste. Il baigne le long-métrage dans une ambiance particulière, entre l'exercice de style et la restitution historique. Parce que ce qui fonctionne également, c'est l'intérêt porté, à travers la toile et le film, pour l'effet direct des grands événements historiques (ici, l'occupation par les Espagnols) sur la vie quotidienne de personnages issus de tous les milieux. L'action se déroule loin des palais royaux et l'intérêt n'en est encore que plus saisissant, lorsque l'on observe la vie d'enfants insouciants et de femmes endeuillées. Se concentrer non pas sur les enjeux géopolitiques, mais sur les para-phénomènes, sur les conséquences sociales d'un tel régime, les réactions familiales après les exécutions. Les émotions plutôt que les décisions, afin de coller au mieux à l’œuvre de Bruegel.


Car c'est là une réelle explication cinématographique de cette toile magistrale qui comporte des centaines de figures. Le symbolisme y est décrypté, la composition en est expliquée, le contexte en est restitué. Bruegel apparaît, grâce à Rutger Hauer, parfaitement plongé dans l'époque, comme un triste observateur de sa génération, qui décide d'en rendre compte par ses moyens presque discrets. Le tableau n'est pas encore important en tant qu'objet, comme aujourd'hui, mais en tant que pamphlet. Le film est donc un film d'histoire, tant il rapporte avec plus de justesse qu'un manuel scolaire en serait jamais capable, les conditions de vie de nos ancêtres, lors des conflits politiques dévastateurs d'alors ; mais c'est surtout un film d'histoire de l'art. A ce titre, on aurait envie que la caméra s'attarde encore plus longuement sur le tableau lorsque, dans un long plan final, elle s'en écarte comme si elle en sortait, elle qui l'a filmé sous tous les angles pendant 1h32. Certains plans sont d'ailleurs magistraux, comme l'étude presque mystique du fameux moulin, dont Majewski part à l'ascension vertigineuse.


Dans cette analyse profonde, la majestueuse Charlotte Rampling se fait presque trop voir, telle un anachronisme ou une inclusion noble là où elle n'aurait plus rien à faire, malgré son utilisation merveilleuse en tant que madonne endeuillée. Ainsi l'émotion perce malgré la lenteur de l'histoire, qui en désintéressera sûrement certains, mais sonne au contraire comme une lente et précise observation de la toile, presque comme une leçon sur le faible temps passé dans les musées devant chaque œuvre d'art, que l'on consomme maintenant comme des frites ou des serviettes, là où leurs créateurs ont passé des heures à s'adonner à une minutie incommensurable. Majewski nous emmène sans hésiter au cœur de cet art, et offre ainsi une expérience esthétique et intellectuelle terriblement ambitieuse, et parfaitement hors-du-commun.


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