J'aime bien Noémie Lvovsky. J'aime sa façon de jouer de façon crédible des rôles durs, accessibles ou dévorants, tout en conservant cet air d'humilité indélébile; de déverser ses répliques avec une justesse toujours au rendez-vous et une jolie tristesse. (Souvenez-vous, on avait déjà eu le plaisir de l'apercevoir ici, ici, ici et ici.) Quant aux films dont elle est la réalisatrice, "Camille Redouble" est le premier que j'aie vu (encore une fois en très bonne compagnie). Et, pourrait-on dire, heureusement que j'aime cette artiste, car il est non seulement réalisé, mais aussi écrit et joué par elle. Une telle centralisation des tâches pourrait faire peur, on craindrait un récit trop personnel qui se mélange les pinceaux dans sa propre intimité, comme Valérie Donzelli dans "La guerre est déclarée" ; il n'en est rien. Au contraire, l’œuvre en est d'autant plus maîtrisée.
Le synopsis en lui-même n'était pourtant pas si alléchant : une femme, actrice de série B, alcoolique notoire, se fait quitter par son mari. Et alors que sa vie est au plus bas, elle se réveille soudain dans la peau de ses quinze ans. A l'époque où entre les soirées entre copines, la rébellion contre les professeurs débonnaires, la rencontre avec son futur ex et la mort prochaine de sa mère, tout était à la fois plus beau et plus terrible. Ce concept, en soi peu original, parle bien entendu à tous, tout le monde s'étant déjà demandé ce qu'il referait s'il en avait l'occasion. Mais ici, ces questions assaillent Camille avec d'autant plus de cruauté : elle qui souffre tant de la rupture avec l'homme de sa vie, qui désormais la déteste, devrait-elle éviter cette relation maintenant qu'elle en connaît la fin tragique, quitte à passer à côté de tout le bonheur adolescent et surtout de la naissance de sa fille ? Est-ce là une seconde chance ou une malédiction la condamnant à surtout ne rien changer ? Noémie Lvovsky souligne avec soin ces considérations temporelles passionnant, en tirant leur essence philosophique sans jamais étouffer.
Mais ce qui frappe plutôt dans le film, c'est que l'on ne se focalise pas sur le récit en lui-même. Son idée de base est certes presque banale, et jamais cela ne sera renié. En réalité, il ne sert que de prétexte à la recherche des sentiments. Ainsi notera-t-on de nombreuses ellipses sur des moments pourtant clés dans le développement de l'histoire en elle-même : on ne verra pas Camille convaincre définitivement son premier allié, on ne s'appesantira pas sur le pourquoi du comment de ce retour dans le temps ou de son inversion finale. Ce qui intéresse, ce que l'on regarde, c'est tous les moments de vie que cela occasionne. Tous ces passages qui sont à peine effleurés dans les autres films, Noémie Lvovsky les porte sur un piédestal pour en exposer la poésie. Et on est bercé par ces moments de grâce, entre la redécouverte des émois adolescents et les inexorables adieux à la mère, l'excellente Yolande Moreau, à qui on confie enfin un rôle différent et intéressant. Ce sont tous ces instants, d'une douceur incroyable, et choisis au détriment d'un récit sinon simple, qui rendent le film magnifique.
Ils contribuent par ailleurs au rythme du film, où l'ennui n'a guère le temps de s'installer. Le scénario vogue avec tranquillité entre l'humour, l'émotion, l'introspection et l'avancée narrative. Tous ces aspects sont desservis par une galerie de personnages si finement ciselés qu'on aimerait parfois les voir plus, notamment ceux de Judith Chemla, Julia Faure et India Hair, toutes délicieuses dans leurs rôles d'adolescentes à fleur de peau, à l'image des dialogues, précis et urgents, qui aident à passer de la folie à l'émoi. Et à l'heure délicate de la conclusion, le récit saura se terminer en beauté, sans céder à aucune facilité, pour signer une dernière fois l'indicible sensibilité de cet excellent film de, par et avec Noémie Lvovsky, solaire.
ce rapport au whisky...
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