lundi 4 juin 2012

Ce que l'on écoutait au Printemps 2012, à usage de nos descendants.

(See what I did there?)

Anaïs - "A L'Eau de Javel"

Anaïs a toujours été un cas à part. Son spectacle inédit "The Cheap Show" a connu un succès grandissant jusqu'à la consécration soudaine aux Victoires de la Musique 2006. Puis est venu le moment du "après", avec un deuxième album, cette fois studio, en demi-teinte, où Anaïs peine à trouver sa place dans des chansons plus conventionnelles. Quand on a appris qu'elle revenait avec un album de reprises des années 1930 à 1960, il y avait de quoi être inquiet. Mais après écoute, si l'on aurait préféré, pour le principe, des créations originales, il faut admettre qu'on ne voit presque pas la différence : la chanteuse a sélectionné avec soin ses morceaux pour qu'ils lui ressemblent, et leur réorchestration est extrêmement moderne et efficace. Le tout est légèrement barré et parfaitement dans la veine Anaïs. On trouvera donc des pistes très vitaminées, comme "Si j'étais une cigarette" ou "Je n'embrasse pas les garçons", ou encore "Sombreros et Mantilles". Des morceaux plus doux tels que le très bon "Et le reste" ou "En douce" soulignent le côté irrévérencieux qu'avait déjà la chanson il y a soixante ans, et qui paraît d'autant plus subversif maintenant. Si beaucoup de chansons se font plus oubliables, notamment à cause d'une adaptation manquant alors d'audace ("Mon Dieu", "Ouragan"), on sourira aux nombreux clins d'oeil humoristiques qui, s'ils grèvent un peu l'aspect musical, sont bien la signature d'une chanteuse drôle et insouciante.






Lana Del Rey - "Born To Die"


Il est difficile de parler de Lana Del Rey, tant tout le monde en a déjà discuté, tant tout a déjà pu être dit à son sujet - le pire comme le meilleur. Dans ce champ de bataille dévasté, ne reste que sa musique comme unique preuve. Celle qui s'est fait connaître par l'infiniment mélancolique "Video Games" délivre ici un album tout entier, et fait alors le choix de la diversité. Les influences sont diverses et les genres varient d'un morceau à l'autre ; seuls demeurent les rythmes hypnotiques et cette indéfinissable ambiance road trip 70s. Ainsi imagine-t-on Lana Del Rey en madonne post-adolescente dans "Off to the Races", "National Anthem" ou "This Is What Makes Us Girls", tandis que l'émotion boudeuse jaillit encore dans le très bon hymne "Born To Die" ou le puissant "Dark Paradise". Les balades, comme "Carmen" ou l'entraînante "Summertime Sadness", brouillent les limites musicales en ajoutant à la moue triste un sentiment de fuite active vers l'avant. Au total, l'album de Lana Del Rey apparaît divers et hétérogène, sans doute décousu et s'il ne sait pas construire un ensemble cohérent, il aura su dépeindre un sentiment universel de perdition passionnelle. Le tout sonne comme un cri de naissance et un chant du cygne à la fois ; il y a fort à parier que Lana Del Rey, personnage artificiel, ne saura pas refaire parler d'elle, mais elle aura su porter la voix des doutes d'une génération, et peu pourront en dire autant.





PJ Harvey - "Let England Shake"
Ma connaissance de PJ Harvey est, au mieux, lacunaire. Après avoir découvert et adoré le profondément rock "Stories From The City, Stories From The Sea", cinquième album de l'idole, je sautai directement au huitième et dernier en date, "Let England Shake". L'évolution de la musique de la chanteuse entre ces deux disques est telle qu'il y avait de quoi être d'abord décontenancé. La voix, d'abord, n'est plus aussi grave et dense, elle s'amuse, s'envole, se fait aigüe, douce, voire lyrique ("On Battleship Hill"), tandis que la musique préfère aux guitares électriques à foison des sonorités bien plus modernes et britanniques, selon le thème même de l'album. Mais une fois cette période d'adaptation passée, on se réjouit de voir que la qualité est toujours là et que, mieux, la musique est toujours animée par ce désir puissant de rébellion artistique. On appréciera les choeurs entraînants et hypnotiques de "The Words That Maketh Murder", le rythme enchaînant de début avec "Let England Shake", le trip aérien de "Written On the Forehead" ou encore la voix déchirée de "England". Le morceau le plus représentatif de cet album et de l'identité enrichie de la chanteuse est sans doute "The Last Living Rose". PJ Harvey s'est renouvelée, elle expérimente des voies entièrement nouvelles, sur le plan de la musique, de la voix comme de l'écriture. Par ce pari osé, elle ne fait finalement que confirmer son talent, tant la métamorphose est une réussite, à la fois fidèle à son identité et témoin d'une sensibilité ré-explorée. Maintenant, me reste l'envie de découvrir les autres albums qui ont vu la progression de cette transformation.






Regina Spektor - "Soviet Kitsch"

Regina Spektor sort cette semaine son sixième album studio (j'y reviendrai) ; l'occasion rêvée de parler, en tout logique, de son petit troisième, datant de 2004. Si Regina étonne toujours par sa capacité à transmettre sa joie de vivre tout en multipliant les chansons tristes, ce paradoxe est à son apogée dans ce disque. L'album débute en effet par quatre lents morceaux au piano évidemment endiablé, avec notamment le magnifique début "Ode To Divorce", dont l'expressivité des paroles, pourtant à la fois cryptiques et concrètes, est incroyable. Ensuite vient le tour de la célèbre "Us", notamment utilisée dans "(500) Days Of Summer", délicieusement dynamique et poétique et de "Sailor Song", où la frêle chanteuse se glisse dans la peau d'un docker. Après un intermède doux et fantasque, la dernière partie de l'album révèle l'énergique "Your Honor", le profond "Ghost Of Corporate Future" ("People are just people / They shouldn't make you nervous / People are just people like you"), et enfin, le bijou de l'album : "Chemo Limo", où une mère s'imagine atteinte de cancer, trop pauvre pour payer la chimiothérapie, et décide d'utiliser plutôt son argent pour une promenade en limousine avec tous ses enfants. Les textes de Regina Spektor sont mystérieux et beaux, chaque mot possède un vaste capital imaginatif, et la poésie qui en émane est évanescente. La musique quant à elle se tient toujours entre la joyeuse improvisation contrôlée et la maîtrise absolue de son instrument, tandis que sa voix se montre aussi claire que puissante. Si cet album est, de prime abord, moins accessible que ses deux successeurs, il est en fait beaucoup plus intime et peut-être encore plus réussi.


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