Dans son nouveau long-métrage, le réalisateur belge Lucas Delvaux s'attache à adapter un livre, Est-ainsi que les femmes meurent de Didier Decoin, adaptant lui-même un fait divers où trente-huit témoins du meurtre d'une jeune femme n'apportent pas assistance à cette personne en danger et cachent cette impensable passivité à la police. Cela fait beaucoup d'adaptation, et l'on sait à quel point cette tâche est difficile : le résultat en est la preuve.
Tout tourne autour d'un couple. Lorsqu'elle revient d'un voyage professionnel, le quartier est bouleversé par l'assassinat qui a eu lieu la veille dans leur rue. Personne n'en a le souvenir. Le mari non plus, prétendant qu'il était en mer. Mais quand il admet à sa femme, puis à la police, qu'il a en fait tout entendu, mais a choisi de ne rien faire, les trente-sept autres témoins muets se retrouvent contraints d'ouvrir la bouche. Le thème est puissant, profond et captivant. Qu'est-ce qui conduirait à une telle conduite collective d'individus séparés, chacun bien au chaud chez soi, en train d'écouter quelqu'un se faire massacrer sous leurs fenêtres bourgeoises ? La prochaine interrogation qui en découle est juste là : en aurait-on fait autant à leur place ? Immédiatement, on voudrait répondre que non, choqué par cette passivité criminelle, mais alors que les témoins affichent leur peur, leur douleur, leurs regrets, la réponse paraît plus douteuse, contre toute attente. Les répercussions de cet acte - ou absence d'acte - sur la vie des habitants sont dépeintes avec tout le réalisme attendu.
C'est donc un bien intrigant fait divers qui est narré ici ; mais il peine à être plus que ça. Les personnages sont inexistants : d'une part, parce que Yvan Attal livre une performance navrante piquée de la catastrophique diction du pire des cabotins, tandis que Sophie Quinton échoue totalement à donner la moindre cohérence aux réactions de son personnage. Les autres sont parfaitement oubliables et oubliés, si ce n'est Nicole Garcia, froide et suprême. D'autre part, parce que les personnages ne sont pas construits ni épaissis : ils sont aussi frêles et flous que le nom d'un inconnu dans le journal. Leurs dialogues sont aussi peu crédibles que ridicules, et drainent tout réalisme de chaque situation. Les personnages n'ont ni origine, ni passé, ni psychologie. Leurs réactions sont régies par cette seule émotion qu'ils ressentent et expriment, comme des effigies figées, ils sont réduits à un seul affect - celui-là même dont parlerait le supposé article de journal dont ils seraient tirés. C'est d'ailleurs la manière, plutôt bien vue, dont le film se découpe : selon les supposées étapes du chagrin collectif dictées par les articles de journaux.
Mais le tout se produit avec tant d'artifices que rien ne tient debout : les décors intérieurs semblent tirés de théâtre de boulevard, contrastant violemment avec de majestueux plans d'extérieur, urbains et marins. De la même façon, la mise en scène maniérée s'oppose à une réalisation qui fait preuve d'une photographie maîtrisée, elle-même affublée de la même fixe froideur. Cet immobilisme serait pardonnable s'il ne se portait pas également à la réflexion, qui ne sera malheureusement jamais plus poussée. Les personnages ne font que débiter les questions que le spectateur se pose déjà face à cette atroce polémique, mais ne vont jamais plus loin, n'apportent jamais un essai de réponse, car ces fantômes ne peuvent pas s'engager à une opinion. C'est bien là ce qui signe au plus profond la nature de "38 Témoins" : ce film n'aura été que la représentation picturale d'un fait divers. Il n'apporte rien de plus, s'en tient aux faits, omet toute psychologie et toute profondeur, jamais ne juge ni ne s'engage. La démarche pourrait être intéressante si elle ne laissait pas l'unique impression que quitte à voir un fait divers, autant prendre trois minutes à le lire dans le journal plutôt que perdre presque deux heures à le voir se dérouler au ralenti sans jamais le creuser, dans un film somme toute ennuyeux.
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