Du charme et de l'ennui. A l'image des étudiantes prostituées auxquels il s'attache, le film ne dispose que de charme et d'ennui. Voici le synopsis tel qu'il est présenté sur les divers sites promotionnels : "Anne, journaliste dans un grand magazine féminin enquête sur la prostitution estudiantine. Alicja et Charlotte, étudiantes à Paris, se confient à elle sans tabou ni pudeur. Ces confessions vont trouver chez Anne un écho inattendu. Et c’est toute sa vie qui va en être bouleversée."
Le concept est alléchant, il est vrai. Mais en ce qui concerne "c'est toute sa vie qui va en être bouleversée", cela apparaît pour le moins faux. Le principal problème à ce niveau est la structure narrative du film : on suit la journée d'Anne alors qu'elle rédige son article et se remémore les interviews, où sont déjà montrés les souvenirs que les deux jeunes femmes évoquent. A travers tout cela, on a du mal à percevoir le changement supposément opéré chez la journaliste, qui apparaît plutôt comme l'immobile cliché nauséeux mais jamais vraiment critiqué de la riche bourgeoise bcbg. L'acte le plus probant d'un bouleversement, dont elle se rappellera vers la fin du film, était le piège que le film devait absolument éviter et dans lequel il plonge tête la première avec fierté, décrédibilisant son propos. Pour le reste, malgré quelques réussites notoires (la scène de masturbation dans les toilettes) qui sauvent le film, l'évolution soi-disant bouleversante du personnage ne parvient pas à convaincre qu'elle est autre chose qu'une maigre crise existentielle chez une triste bourgeoise, sujet ennuyeux par excellence. Fort heureusement, le tout est rattrapé par l'excellente performance de Juliette Binoche, toujours aussi magnifique, lumineuse et talentueuse.
Le vif du sujet, quant à lui, concerne donc ce phénomène grandissant de la prostitution estudiantine. Le film semble se targuer de s'attaquer là à un sujet qu'il prétend plus tabou qu'il n'est réellement, mais il a cela dit le mérite d'être traité avec justesse. Sans jugement, sans condescendance, sans victimisation, sans cliché, sans non-dit. Sans propos aussi ? Le seul argument que Szumowska semble finalement soutenir est que les hommes sont des porcs, tous autant qu'ils sont, et sont les seuls coupables. Probablement un peu faible (mais à ce titre, l'épuisant Louis-Do de Lencquesaing est un choix de casting évident, logiquement abonné aux rôles de riches salauds). Néanmoins, si le personnage d'Alicja, admirablement mal cerné (et par conséquent, mal dirigé, et par conséquent, pas très bien joué), laisse parfaitement de glace, celui de Charlotte, interprété par la douce, remarquée et toujours un peu trop lisse Anaïs Demoustier, intéresse beaucoup plus. C'est elle qui aura (fera?) les scènes de prostitution les plus marquantes, pas par le trash superflu comme pour Joanna Kulig, mais par le touchant, le violent ou le banal. On remarquera de délicieux plans-séquence, une très bonne lumière et un jeu brillamment nuancé.
Que retenir de "Elles", pour conclure ? Szumowska sait filmer : outre les réussites déjà évoquées, elle livre des plans fixes très soignés, un discret et efficace esthétisme dans la mise en scène, et, de manière générale, une sorte de douceur dans son agréable réalisation. Sa production ne manque alors pas d'un certain charme qui captive pendant quelque temps. Ensuite, il paraît clair qu'à l'image de son personnage principal, elle s'embrouille dans son sujet, se reposant déjà sûrement trop sur son simple postulat, certes intéressant et dérangeant, que les jeunes femmes puissent prendre du plaisir à leur dangereux métier. En découlent beaucoup de moments intéressants; mais le reste est traité avec une sorte de nonchalance non assumée tandis que tous les aspects et conséquences attendus sont brandis les uns après les autres. C'est alors que perce l'ennui, de plus en plus dévorant alors que le film n'arrive pas à trouver quelque chose à dire, et laisse un goût de déception : cette idée sera maintenant classée "déjà faite", et quel dommage qu'elle n'ait pas été saisie en premier par quelqu'un qui aurait su la tirer jusqu'au bout plutôt que d'aveuglément traiter sa surface en profondeur.
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