mardi 29 novembre 2011

"Sleeping Beauty", Julia Leigh

Le film a fait parler de lui rapport à sa censure récente : "Interdit aux moins de seize ans"... Je ne pense pas que ce soit à moi de revenir sur la polémique, bien qu'elle soit fondée tant les censeurs semblent ne pas du tout avoir compris le film (comme l'article du Libé de ce week-end le résume bien, entre deux parties erronées et soporifiques) (plus fort que le PIFBP, le PIFBP qui critique les lectures des PIFBP). Il ne m'appartient que d'aller, comme l'affiche corrigée le suggère, "me faire mon propre avis", en allant voir le film - et en vous en rendant compte. (Oui je suis comme ça moi.)


Comme vous le savez peut-être, "Sleeping Beauty" raconte l'histoire étrange d'une jeune fille qui, pour se faire de l'argent, accepte une prostitution particulière : elle boira un puissant somnifère, permettant aux clients de la prestigieuse agence d'abuser comme ils le souhaitent de son corps endormi - aux conditions de ne jamais la pénétrer ni de laisser de traces de leur passage. C'est Emily Browning qui interprète, avec beaucoup de justesse, ce rôle difficile d'une femme à la dérive. Ses problèmes d'argent sont subtilement soulignés : elle a plusieurs emplois, se livre à des expériences médicales comme dans l'anxiogène scène d'ouverture mais doit tout de même frauder pour prendre le métro afin d'aller à son entretien d'embauche. A côté de cela, elle présente un rapport aux autres très particulier : évitant de payer le loyer à ses colocataires, elle préfère sortir toute la nuit dans des boîtes branchées, prendre des drogues diverses et coucher avec le premier venu, avant de venir boire de la vodka avec un ami suicidaire.


Le climat est posé : anxiogène, malsain à souhait, pervers et répugnant. Eros et Thanatos unis dans leurs pires travers. L'histoire semble tronquée : aucune piste n'est donnée au spectateur pour comprendre les liens entre les personnages ou le passé qu'ils amènent avec eux. Ce n'est qu'en s'accrochant au cours du récit que le strict minimum nous sera distillé, à mesure que la nudité de Lucy sera progressivement révélée jusqu'à la frontalité totale devant son corps blanc et échoué, souligné par un silence quasi-constant. C'est un réel travail de compréhension qui est exigé de la part du public, qui pourrait y répugner tant la tâche semble être rendue volontairement plus ardue que de raison... Néanmoins, en jouant le jeu, le rassemblement des éléments procure quelque plaisir, notamment dans la relation entre Lucy et Birdmann : même si on n'en saura jamais tout, il faudra s'en contenter et ainsi, apprendre à se concentrer sur l'essentiel du récit, comme Leigh l'impose.


C'est donc avec un soin obsessionnel que la cinéaste cisèle son premier film. C'est évident à toute seconde : chaque plan obéit à de strictes règles de symétrie classique et d'accord des couleurs. Cette véritable compulsion à la recherche de la perfection esthétique engendre donc des tableaux d'une fine beauté, mais révèle également une volonté de trop bien faire, digne d'un premier film, et qui en gâche parfois l'intention. Cela dit, on notera tout de même des passages d'une rare qualité, notamment de longues scènes réalisées en plan-séquence sans coupure avec une seule caméra fixe, qui ne fait que mettre davantage en valeur les performances de Rachael Blake et Peter Carroll. Le tout résonne avec la beauté lascive et vulnérable de Lucy, sans cesse violée dans les quelques passages exhibés d'une violence physique et morale assumée, lorsque Lucy est profondément endormie. La perversité humaine est mise en lumière plus que jamais, après une dégoûtante mise en bouche lors des premiers emplois de Lucy en tant que serveuse dans des soirées huppées et dégradantes.


Le rapport au corps est rappelé sans cesse, à chaque scène, dans ses éructations, ses miasmes et sa beauté. Mais très vite, on s'interroge sur le fond de la réflexion : est-il à la hauteur de la forme et du soin maladif avec lequel elle a été réalisée ? Quel est le message, s'il en est un, du film ? Ou seulement sa signification, son but ? Julia Leigh manque de clarté : si elle laisse le choix au spectateur d'interpréter son oeuvre comme le simple portrait d'une femme perdue ou comme une réflexion métaphysique sur la nature humaine, est-ce par délicatesse ou par ignorance ? Elle-même ne semble pas toujours le savoir.

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