jeudi 30 janvier 2014

"Yves Saint-Laurent", Jalil Lespert

Ah, le fameux et ô combien lucratif genre du biopic...


C'est le jeune (et je me permets de dire "jeune" parce qu'il a l'âge que j'aurai dans moins d'une semaine, grands dieux !) Pierre Niney qui interprète Saint-Laurent, d'une manière très sensible et impliquée. On peut en effet toujours craindre, quand un acteur joue une personne non-fictive, que cela lui bride tout élan de créativité - Niney fait tout l'inverse : il réinvente Saint-Laurent, l'incarne précisément, mais avec un dévouement et un enthousiasme empreints de respect, et c'est à la fois amusé et impressionné que l'on assiste à cette méticuleuse métamorphose. Ce portrait est souvent attendu, mais conserve une richesse certaine en exposant les contradictions et les tourments de son protagoniste : on découvre, ou redécouvre, Yves Saint-Laurent comme un artiste maudit, un créateur anxiodépressif, un homosexuel dans les années 60, un fêtard excessif, un génie en souffrance.


Il s'agit aussi, et bien sûr, d'une immersion dans le monde de la mode, dépeint comme intemporel, tant il sera presque l'unique marqueur de la temporalité. Les robes, véritables, sont évidemment magnifiques, et les redécouvrir ici est un plaisir. On aurait aimé explorer encore davantage l'influence que "YSL" commence à avoir sur le monde, l'effet que ces robes ont eu sur les femmes et les mœurs de l'époque, les réactions au-delà des quelques coupures de journaux et du cercle d'Yves (dont Victoire Doutreleau, magnifique Charlotte Lebon que l'on aura cependant préférée dans "La Marche"). Loin de l'extravagance de ces collections, la mise en scène s'avère bien sage et rangée. Et alors que la narration suit ce flot sans trop de longueurs, les différentes péripéties posent, comme toujours, la question de leur véracité ; à quel point sont-elles romancées ? Sûrement beaucoup, ce qui diminuera parfois l'originalité du sujet. Victime de son genre, l'histoire se perdra parfois entre nécessité de retranscription des faits et utilité scénaristique : par exemple, certains personnages (comme celui de Loulou de la Falaise) ne trouveront jamais de raison d'être ; mais au moins, elle saura éviter de justesse l'habituel schéma des biopics "gloire - déchéance".



Parce que le récit se relève surtout en une histoire d'amour, celle qu'Yves partage toutes ces années avec Pierre Bergé, interprété par Guillaume Gallienne, et qui a, apparemment, surveillé le long-métrage avec le soin acharné qu'on lui découvre dans le film. Dès lors, la voix-off de Bergé, quoi que souvent trop explicative et superflue, revêt un aspect assez émouvant : on ne sait plus si c'est Gallienne ou Bergé, le faux ou le vrai. Ce qui reste clair, c'est la puissance de cet amour surpuissant et irrationnel qui fera des deux hommes des compagnons jusqu'à la mort, et même après au vu des projets que Bergé mène en le nom de Saint-Laurent. Et ce malgré les trahisons, les incompréhensions, les bagarres, les tromperies. Serait-ce ça, le grand amour ? Les amours pures et éternelles auraient-elles la prétention de résister ainsi à toutes les bavures ? Ou alors ce type de lien, possessif et autodestructeur, est-il déraisonnable ? Peut-être qu'on se pose les questions, peut-être qu'on est juste ému de cette dernière déclaration d'amour, d'un homme à son conjoint défunt, du monde à un artiste parti.


dimanche 12 janvier 2014

"Nymphomaniac, Vol. 1", Lars Von Trier

Il est difficile de juger ce film.


Il est difficile de juger ce film parce que je l'attends depuis très longtemps, la conjonction de mon actrice préférée (Charlotte Gainsbourg, pour ceux qui ne suivent pas) et de celui que je peux plus ou moins appeler mon réalisateur préféré (Lars Von Trier, donc) étant toujours très appétissante (rappelons l'exceptionnel "Melancholia" et oublions très vite l'incroyable misogynie de l'autrement très beau "Antichrist"), surtout sur un concept tel que celui-ci : suivre la vie sexuelle d'une femme lors des cinquante premières années de sa vie. Si la réalisation, toujours aussi efficace et poétique, est cependant un brin en-dessous de ce à quoi Von Trier nous a habitués, Charlotte Gainsbourg est toujours aussi lumineuse bien sûr, et Stacy Martin, qui joue la version plus jeune du personnage, est prometteuse, bien qu'un peu trop passive pour l'instant.


Il est difficile de juger ce film surtout parce qu'il y a, en tout, cinq heures et demie de film. Sauf que c'est trop. Mais que Lars aimait tout. (Un peu comme Kechiche, en fait. "TOUT EST GENIAL JE VAIS FAIRE UNE EPOPEE."). Bon, sauf que lui, il a bien compris qu'il ne pouvait pas faire un film-fleuve. La décision fut prise de diviser en deux parties le film. Et le montage a été confié à un tiers ; c'est la première image que l'on voit de "Nymphomaniac", et peut-être la plus perturbante : un "disclaimer" explique qu'il s'agit là d'une version courte du premier volume, que le montage n'a absolument pas été effectué par le réalisateur qui n'a fait que donner son approbation, "sans plus d'implication de sa part". Cela aura quelques effets néfastes : certains chapitres (il y en a huit en tout, dont cinq dans ce volume) souffrent de cette concision excessive qui condensent leurs métaphores jusqu'à les rendre vraiment poussives (la séduction c'est comme la pêche, ah oui).


Cette version courte est aussi et surtout censurée. Les fameuses scènes pornographiques sont éludées, résumées et tronquées. Elles qui constituaient la raison d'être du film ne seraient qu'entraperçues. Oh, on en voit déjà suffisamment pour que le film mérite un "interdit aux moins de seize ans" - en réalité, il ne l'est qu'aux moins de douze, mais je suis personnellement bien content de ne pas l'avoir vu dix ans plus tôt. Cependant, la représentation du sexe y est passionnante : elle est à la fois fédératrice et déshumanisante, tant Joe accepte tous les individus ce qui finit par nier leur individualité. On ressent cette multiplicité des corps et des hommes, tout en les ramenant forcément à des êtres de chair et de sperme. Les quelques personnes épargnées par cette voracité seront les personnages de Shia LaBeouf, et surtout d'Uma Thurman, merveilleuse.


Mais, au-delà de ça, c'est le simple fait qu'il s'agisse d'une première partie qui m'empêche de critiquer ce film. Son écriture est certes d'une précision et d'une complexité captivantes, mais il se termine sur une plaque tournante. Il est dès lors impossible de se prononcer : le fond du film est-il féministe, promouvant une image de femme forte et sûre de sa sexualité, ou misogyne, ce qui serait bien plus cohérent avec l’œuvre de Von Trier et avec cette tendance qu'a le personnage de Charlotte Gainsbourg à s'auto-flageller d'avoir été une telle catin ? Quel sera le propos final quant à la sexualité : cette pratique outrancière est-elle sale, normale, intelligente, maîtrisée ou pathologique ? En quoi se conclura la dualité entre Seligman, l'homme qui accueille Joe blessée dans une ruelle, et cette nymphomane, si décomplexée dans les flash-backs, si pleine de haine d'elle-même dans le présent ?



Je reviens vers vous le 29 janvier. Et j'espère ne pas avoir alors besoin de la version de 5h30 pour me faire un avis plus articulé.

vendredi 10 janvier 2014

Le classement des films 2013 arrive, de façon bien plus logique, en 2014.

Ben oui, je n'allais pas vous laisser sans ce qui est déjà le troisième (rapport au fait qu'il y a eu ça et puis ça) grand classement de ce blog qui m'amuse toujours autant même si j'ai moins eu la possibilité de m'y consacrer cette année pour des raisons diverses et variées. J'ai donc vu moins de films et j'en ai raté beaucoup qui m'intéressaient. Peut-être que leur visionnage aurait modifié la face de cet article. Mais en fait on s'en fiche, non ? Je me rends compte aussi que beaucoup de films n'ont pas eu le droit à leur petit article habituel. Mais en fait on s'en fiche, non ?

Cette année en cinéma a été un moins bon cru que les précédentes. Les films que j'ai vus ont été plus homogènes, en réalité : aucune vraie bouse, et dans le même temps, le podium a été plus difficile à définir. Encore une fois, ce qui prime dans un classement comme celui-ci, c'est l'effet, l'impression, la marque que le film laisse.



Ne disons pas "mauvais", préférons signifier que l'intérêt en est limité.      




45. "The Bling Ring", Sofia Coppola
Quelle tristesse de voir Coppola ici... Cependant, en adaptant ce fait divers, elle ne parvient jamais à lui insuffler une vie, et encore moins à créer des personnages, ne laissant à vue que la fade inutilité de raconter cette histoire.

44. "The Hobbit : The Desolation of Smaug", Peter Jackson
Ce n'était pas nul, à proprement parler, et j'ai passé un moment assez agréable à regarder la version 2D, comprendre ici "low-cost", de ce blockbuster assoiffé d'argent. Mais ce qui reste en tête, ce n'est pas la bouille talentueuse de Martin Freeman, mais les rajouts pitoyables et autres plans ridicules.




Je ne comprends pas l'engouement pour ce film qui, s'il n'est pas un vrai navet, est une bien piètre représentation de ce qu'il prétend explorer.

42. "Neuf mois ferme", Albert Dupontel
Ce film m'a ennuyé à un tel point que je n'ai jamais trouvé le courage d'en faire la critique. En ce qui me concerne, il n'aura suffi qu'à me convaincre que je n'aimais pas Dupontel en tant que réalisateur, même si je lui voue un éternel respect teinté de jalousie pour avoir eu le courage de faire ce que j'aurais peut-être dû faire, à savoir arrêter la médecine après cinq ans pour me consacrer à d'autres activités plus fun comme dire des bêtises sur un blog. Je ne nie pas les nombreuses qualités de son travail ; il ne s'agit ici que d'un avis subjectif, d'un goût sans plus d'intérêt. Comprenez donc par là que ce commentaire n'est pas à prendre comme parole d'évangile (contrairement au reste de mes avis), mais selon moi, le ton tout entier du film sonne comme une blague facile, une de ces plaisanteries que l'on lance un peu en l'air dans l'évidence du moment pour un effet à court terme, mais dont tous les auditeurs finissent par souligner le caractère irréfléchi.


"Va, je ne te hais point." (ceci n'est pas une litote)




Alors, c'est un sujet sympathique et de jolis décors mais, euh, quoi ? C'est déjà fini ? C'est ça, l'histoire ? Aucune substance, aucun enjeu, mais alors, au moins on va avoir le droit au moment que tout le film prépare ? Ah non, c'est le générique ? Ah bon...

40. "Jeunesse", Justine Malle
L'élan autobiographique est sans doute touchant, mais pas assez mûr. Ce film aurait sans doute dû être réalisé dans dix ans; cette année, il semblait n'oser pas encore dire ce qu'il voulait dire, et s'excuser davantage qu'exister.

39. "Les Garçons et Guillaume, à table !",Guillaume Gallienne
Oui, alors, plus j'y ai réfléchi, plus mon avis s'est rapproché de celui-ci. Même si je ne suis pas aussi sévère dans la mesure où Gallienne ne prétend jamais au caractère universel de son histoire, je crois tout de même que le succès de son film est dû à cette façon si démagogique, consensuelle, faussement rassurante qu'il a "d'expliquer" les "troubles" de genre.



38. "Elle s’en va", Emmanuelle Bercot
Oui, oui, d'accord, c'est mignon d'utiliser Catherine Deneuve à contre-pied, mais si même Camille ne joue pas très très bien, on ne va pas vraiment s'en sortir.

37. “Blue Jasmine”, Woody Allen
Ce film annoncé comme "le meilleur Allen depuis longtemps" ne renoue vraiment qu'avec un certain charme de la photographie, mais l'absurdité façon serpent qui se mord la queue du scénario ne prend plus. Plus du tout.

36. "Touristes !" ("Sightseers"), Ben Wheatley
Cette version édulcorée du très chouette "God Bless America" (primé aux Assurément Awards l'an passé) était assez cool, elle aussi, avec sa sauce parfaitement British. Pourtant, le what-the-fuck l'emporte un peu trop vite sur le propos...




35. "Au Bout Du Conte", Agnès Jaoui
Mignon et assez polyamoureux, ce conte moderne est sans doute le conte le plus moderne qu'on ait vu.

34. "L’Écume des Jours", Michel Gondry
Vian et Gondry ne fonctionnent pas en synergie mais en surenchère jusqu'à l'overdose.

33. "A la Merveille" ("To The Wonder"), Terrence Malick
Forcément formellement magnifique, ce successeur à "The Tree Of Life" en sonne tout de même comme une sorte de caricature dont les marmonnements poétiques n'ont plus aucun sens.




32. "La Vie d'Adèle", Abdellatif Kechiche

Ah, la fameuse Palme d'Or... Oui, c'était assez bien filmé, Exarchopoulos était très bien, et cette juste représentation de la voracité amoureuse me fait encore gargouiller le ventre. Mais cette réticence à embrasser à pleine bouche son sujet m'empêche de placer Kechiche aussi haut qu'à la Croisette.

31. "Gravity", Alfonso Cuarón
Une expérience cinématographique certes unique, on regrettera un symbolisme ridiculement forcé entre les sept lignes de dialogue du grand blockbuster qui se voulait subtil.

30. "Gimme The Loot", Adam Leon
Cavale newyorkaise fun et mignonne.




29. "Yossi", Eytan Fox
Ce personnage, très bien posé, est si rare dans son genre au cinéma que le scénario finit par être un peu trop gentil avec lui.

Noémie Lvovsky (lauréate des "AA" 2012 (encore un sigle hasardeux)) toujours parfaitement émouvante porte à bout de bras un film autrement un peu léger.


"Pas trop mal, pas trop mal du tout." (je n'ai pas le courage de chercher un titre plus original, je suis censé réviser.)



L'ardeur dans le climat et dans cette "drôle façon de s'aimer", le huis-clos en plein-air, et l'ambiguïté, gênante, sans que l'on sache si c'est en mal ou en bien.

26. "No", Pablo Larraín
Très bon Gael Garcia Bernal, le sujet du film en rattrape de justesse le traitement souvent erratique et injustifié.

25. "Les Amants Passagers" ("Los AmantesPasajeros"), Pedro Almodóvar
Dans cette analogie, le célèbre réalisateur semble toujours vouloir s'amuser, et il parvient parfois à nous emmener dans son délire.




24. "Hunger Games 2 : L'Embrasement", Francis Lawrence
Un an après avoir un tantinet détruit le premier volet, je m'avoue séduit par ce second opus, bien plus mature, sombre et intéressant.

23. "La Parade", Srdjan Dragojevic
Difficile de ne pas penser à la violence du soudain basculement vers l'obscure tragédie finale, mais toute la partie comique était également réussie.

22. "Oh Boy", Jan Ole Gerster
Une errance introspective, à la fois rétro et incroyablement ancrée dans les interrogations de son époque.




21. "The Sessions", Ben Lewin
Un sujet important traité avec toute la délicatesse et le soin qui l'accompagnent.

20. "La Religieuse", Guillaume Nicloux
Prodigieux jeu d'actrices (hormis Bourgoin...) dans un drame puissamment pervers.

19. "Un Château en Italie", Valeria Bruni Tedeschi
La névrose en étendard, l'autofiction à peine masquée, et pourtant, ce réalisme, cette justesse.




18. "Snowpiercer, Le Transperceneige", Bong Joon Ho
Tout ce que la science-fiction dystopique devrait être : joliment métaphorique, intensément prenant, finalement intelligent.

17. "Gabrielle", Louise Archambault
Une douceur incroyable.

16. "La Jalousie", Philippe Garrel
La photographie tranchée hante les esprits. Les difficultés amoureuses sont posées là ; l'intensité du chagrin, toujours vraie, paraît moins grave avec tout cet incroyable recul.




15. "Casse-Tête Chinois", Cédric Klapisch

Cette suite foutraque et parfois poussive reste infiniment enthousiasmante.

14. "Camille Claudel 1915", Bruno Dumont
Étouffant, toujours. Dumont s'attaque ici à une histoire vraie, passée, et la jette au cou du spectateur.

13bis (parce que je viens de me rendre compte de son absence dans le classement et que j'ai la flemme de changer tous les numéros, vous me comprenez bien). "Suzanne", Katell Quillévéré
La pudeur dans la tragédie, l'universel dans le particulier, l'amour au total.

13. "Inside Llewyn Davis", Ethan & Joel Coen
L'élégance du drame.



12. “La Grande Bellezza”, Paolo Sorrentino 
Tout ce faste, cette grandiloquence, laisse quelque chose dans la durée, quelque chose d'inévitablement majestueux. (Spéciale cassdédi à ma plus fidèle accompagnatrice au ciné cette année, qui en plus joue méchamment au Scrabble.)

11. "Le Passé", Asghar Farhadi
Là aussi, l'élégance. Cette petite histoire dont les proportions se dévoilent au fur et à mesure se révèle d'une justesse incisive, en plus d'être servie par les excellents Rahim et Béjo et une réalisation léchée.


Vas-y comment mes films préférés sont au nombre de dix cette année, ça fait un vrai Top 10 comme à la télé.



10. “La Danza de la Realidad”, Alejandro Jodorowsky
Cela déborde d'idées pleines de joie, de dureté, d'imagination, d'originalité, d'absurdité, de nostalgie, d'amour, de violence, et de poésie, en fait, surtout.



9. "La Vénus à la Fourrure", Roman Polanski

On reste toujours sur le bord, entre le sadisme et le masochisme, entre la soumission et la domination, entre la misogynie et le féminisme, entre l'amour et la haine, on peut alors se poser toutes les questions, peut-être même s'approcher des réponses.



8. "Tabou", Miguel Gomes
Très beau film, dont l'histoire atypique parvient à captiver l'attention d'une façon inédite.



7. "Frances Ha", Noah Baumbach

Ce portrait jovial fait pardonner ses tendances hipster par une ouverture sur notre (enfin, au moins ma) génération et ses tourments actuels.



6. "La Marche", Nabil Ben Yadir
On pourra lui reprocher la facilité de ses procédés, qu'importe : "La Marche" dénonce avec une verve bouleversante.


5. "Anna Karenine", Joe Wright

La volupté gracieuse du long-métrage et son habilité à mêler le cinéma dans le théâtre font de ce film une sorte de bijou inattendu.



4. "Blancanieves", Pablo Berger
On aura rarement vu un traitement aussi juste de l'adolescence : ce film en devient profondément émouvant.


2. "Alabama Monroe", Felix Van Groeningen
Pour une raison que je ne m'explique pas vraiment, je n'ai jamais écrit de critique de ce drame magnifique qui réussit tout ce que "La Guerre est Déclarée" avait raté. L'incommensurable tristesse de l'histoire est toujours soutenue par une rage de vivre amoureuse et artistique, l'émotion apparaît avec une puissance insoupçonnée.




1. "Before Midnight", Richard Linklater
Si ce troisième volet est certes un léger ton en-dessous de ses prédécesseurs, il a l'extrême mérite de refermer une trilogie passionnante, au concept captivant, et aux dialogues parfaitement ciselés. La richesse de son propos passe par une écriture incroyablement travaillée qui parle d'une multitude de sujets à la suite sans jamais se compromettre.

dimanche 29 décembre 2013

"Suzanne", Katell Quillévéré

BON. Avant de commencer, je vais le sortir de mon système : "JE... SAIS, TU N'EXISTEUH PAS, SUZANNE... POURTANT JE TE PARLE, POURTANT JE TE PAAAAAARLE..." Voilà, maintenant que ça, c'est fait, on peut y aller.


Katell Quillévéré met en scène dans son second long-métrage ce que l'on entend souvent s'appeler un "drame social". Mais c'est sur un quart de siècle qu'elle le fait : on découvre Suzanne et sa grande sœur Maria, enfants, jouer et pleurer avec leur père veuf, incarné avec force par François Damiens, avant de retrouver presque immédiatement tout ce monde dix ans plus tard. Tout le film fonctionnera de cette manière : d'ellipse en silence, les chocs et les drames seront éludés, pour ne s'intéresser qu'à l'après, aux cœurs brisés qui continuent face aux drames inexorables contre lesquels ils ne peuvent plus rien. La narration garde néanmoins une clarté impeccable dans son portrait d'une femme qui se perd et suit sa voie à la fois.


Suzanne, c'est Sara Forestier, la fervente, l'indomptable, la lumineuse Sara Forestier. Tout en gardant les qualités de joyeuse sauvageonne qui font d'elle la comédienne qu'elle est, elle s'assouplit, s'adoucit même, pour devenir parfaitement cette jeune femme, d'abord fille-mère, puis fugitive, criminelle, détenue... Mais ce n'est pas elle que Quillévéré suit pendant ses fugues : ce sont les yeux cernés de la prometteuse Adèle Haenel, sœur épuisée. Les retrouvailles ensuite se font sans heurts, avec l'évidence de l'indicible : loin des hurlements culpabilisateurs ou des violons des circonstances atténuantes, les moments d'émotion s'en feront d'autant plus bruts et étouffants.


En dépit de cela, les erreurs seront recommencées, les drames accumulés, les essais ratés, souvent. Au milieu de toutes ces petites tragédies, on retrouve Corinne Masiero dans le rôle le plus inattendu qu'on ait pu lui donner dans le film et qu'elle interprète avec le talent qu'on lui connaît. Elle symbolise tout ce que le film prétend : la force de continuer, d'essayer encore malgré le malheur que l'on ne peut pas annuler, dans une optique résolument tournée vers l'avenir. Les couleurs d'ailleurs sont vives, l'image ensoleillée, comme ce sourire final de Suzanne, "très heureuse", quand même, malgré tout : les gens qui s'aiment se voient, se comprennent, restent.


samedi 28 décembre 2013

"La Vénus à la Fourrure", Roman Polanski

Je n'avais pas du tout apprécié "Carnage", le précédent film de Polanski (dont j'ai publié la critique il y a deux ans jour pour jour, ça nous rajeunit pas, hein) une adaptation d'une pièce de théâtre dont on cherchait en vain l'intérêt. Je n'étais donc pas très motivé pour voir ce nouvel opus, d'autant plus qu'il s'agit cette fois encore d'un huis-clos et que cela parle d'une pièce de théâtre. Mais les bonnes critiques m'ont convaincu et je ne suis pas déçu.


Mathieu Amalric est une sorte d'alter-ego de Polanski : metteur en scène, il cherche désespérément une actrice pour incarner Vanda, femme dominatrice dans le roman sadomasochiste qu'il adapte en pièce de théâtre. Arrive alors Emmanuelle Seigner (et c'est reparti pour mille mots-clés Google la recherchant nue, elle ou sa sœur...) : une comédienne vulgaire et écervelée qui le convainc néanmoins de la laisser auditionner. Seigner surjoue dès lors qu'elle joue ce rôle, mais, à l'image de son personnage, se métamorphose dès qu'elle interprète le personnage de la pièce ; on en vient même à se demander si tout était prévu... Comme cette délicieuse introduction burlesque dans une avenue parisienne grise et pluvieuse.


Il faut dire que l'histoire toute entière de ce huis-clos est particulièrement bien ficelée. L'écriture est particulièrement fine et la conclusion aussi inattendue que parfaitement pensée. Les niveaux de lecture se superposent, puis se croisent, pour finir par se mélanger, se confondre et même se rassembler. La Vanda comédienne est-elle une Vanda-personnage, ou bien une autre version d'Emmanuelle Seigner, ou encore cette apparition de Vénus que les acteurs s'amusent à invoquer ? Et ce Thomas, est-il artiste incompris, soumis refoulé ou machiste incorrigible ? Peut-être tout cela, alors que les rapports de force théâtraux se rapportent à la hiérarchie entre actrice et metteur en scène, et aussi aux relations homme-femme, entre amour et dégoût, souffrance et plaisir.


Cette fois, Polanski parvient à merveille à trouver les limites entre le théâtre et le cinéma, jusqu'à jouer avec elles, exploiter pleinement le potentiel de la rencontre de ces deux arts. Le film ne ressemble jamais à du théâtre filmé et, à vrai dire, n'est jamais imaginable en pièce : l'abord cinématographique est indivisible, mais à travers ce prisme, le théâtre est présenté dans un écrin qui le sublime. La mise en scène théâtrale et la mise en scène filmique opèrent en synergie pour venir davantage brouiller les pistes au milieu du sujet complexe entrepris par le réalisateur avec une intelligence honnête et désarmante.

samedi 21 décembre 2013

"Les Garçons et Guillaume, à table !", Guillaume Gallienne

T'as vu t'as vu le succès du box-office qui parle de djendeur ? Mais si, mais si, c'est le spectacle de théâtre, là, à propos de la fiotte qui n'en était pas une, ça a bien marché alors le gars en a fait un film et ça cartonne.


Guillaume Gallienne est sur tous les fronts dans ce qui apparaît clairement comme le projet de sa vie. Bien entendu, il joue le rôle de sa mère, avec un talent indéniable et assez incroyable, et, pour son propre rôle, déploie de rares capacités de comédien. De plus, pour cette adaptation au cinéma dont il aurait apparemment toujours rêvé, il choisit le parti-pris intéressant d'en conserver l'origine théâtrale. La mise en scène porte bien son nom : elle passe ici par des séquences qui rythment le film et où Guillaume Gallienne, narrateur, acteur, raconte son histoire sur les planches. Cela permet quelques procédés vivifiants, parmi lesquels les apparitions fantasmées de la mère, ainsi qu'un double-jeu qui porte plus loin la mise en abyme sur l'autofiction.


Mais dans la transition, la structure du film est un peu déséquilibrée. Tout d'abord, certaines blagues fonctionnent beaucoup moins bien, et beaucoup d'anecdotes qui devaient très bien passer en tant qu'apartés deviennent ici sketchs superflus, notamment les scènes de l'inattendue Diane Kruger. De manière générale, l'histoire glisse, parfois, un peu : les questionnements du personnage constituent le sujet principal, bien sûr, mais cela manque rapidement d'enjeu autre que l'auto-contemplation bourgeoise. Cela ne l'empêche pas de toucher très juste, par moments : aussi bien dramatiquement, sur les sujets de l'exclusion, de la discrimination, de la solitude et de la différence, que comiquement, avec en tête la délicieuse arrivée en Angleterre ("It's good for the health!").


On grincera davantage des dents face aux fréquents clichés sur les femmes, les arabes, etc. La résolution majore ce scepticisme dans ce qu'elle soulève. Certes, cette histoire est toujours présentée comme celle, unique, de son auteur, sans jamais prétendre à un caractère universel. C'est sans doute pourquoi elle ne se mouille jamais vraiment sur le sujet de la transexualité ; néanmoins sa fin façon solution psychanalytique de bas-étage (la mère castratrice !) à un problème qui n'était pas censé en être un a des relents d'une droite conservatrice et normative qui s'accorde d'ailleurs très bien avec l'univers des personnages... On préfèrera donc ne pas analyser trop en profondeur cette gentille comédie, au risque d'y trouver, sous couvert de l'honnêteté de parler du sujet, beaucoup de malaise et de méconnaissance quant au genre ; on se contentera de faire comme tout le monde et de sourire sans réfléchir, pire, sans être amené à réfléchir.

mercredi 18 décembre 2013

"The Hobbit : The Desolation of Smaug", Peter Jackson

Je n'ai pas vu le premier volet de cette trilogie, mais j'ai lu le livre dont elle est tirée. J'en garde un souvenir assez tendre et parfois un peu flippant. Le film fait un tout autre effet.



Bon, ce n'est pas une catastrophe, pas du tout. On est certes loin de l'épique hypertrophié du "Seigneur des Anneaux", mais on ne tombe pas non plus dans le navet sauce fantasy. On retrouve avec plaisir la transposition grand écran de l'univers de Tolkien et de sa richesse ici bien exposée lors des rencontres successives des Nains et du Hobbit avec les Orques, les Elfes, les Hommes, dans des décors bien sûr luxuriants quoique bien moins mis en avant que ce qu'on aurait aimé. La sensation de la menace qui se prépare dans ce prequel amène une dimension supplémentaire, bienvenue celle-ci, à l'histoire. Mais le film n'échappe pas aux énormes pièges du genre : en plus de la fatigante chance irréaliste des héros, plusieurs moments sont à se taper la tête contre le mur tant un tel degré de stéréotype kitsch devrait être interdit en salles. Le plus évident reste bien sûr cette histoire d'amour forcée entre une Elfe rebelle et le seul Nain (plus que) potable de la bande, dont chaque seconde est aussi fausse que superflue.



Si cette storyline est parfaitement inutile, hormis le quota "romance" que les scénaristes se sont sentis obligés d'ajouter pour une raison que l'on ne veut pas connaître, elle est loin d'être la seule. On s'en doutait en apprenant que ce qui devait initialement être un diptyque deviendrait, en un coup de bâton magique, une trilogie d'autant plus lucrative. Le film est extrêmement bavard et on ne comprend pas pourquoi il a besoin d'être si long si c'est pour raconter aussi peu de choses. Ses scènes s'étirent en longueur (un peu comme mes critiques) : chacune d'entre elles pourrait perdre une bonne minute, que ce soit des scènes de combat qui se répètent dans la surenchère tantôt comique, tantôt juste ennuyeuse, ou dans les dialogues patauds. Cette langueur est amplifiée par un scénario simpliste dont le caractère extrêmement feuilletonnant est certes efficace mais a poussé certains critiques à comparer la construction du film à un jeu d'arcade type "Donkey Kong" : problème-résolution-niveau suivant.



L'occasion de remarquer la qualité toute relative des effets spéciaux, dont tout le budget semble être passé dans le très beau dragon, au détriment de nombreuses inclusions sur fond vert complètement dégueulasses et autres effets kitsch façon Windows Movie Maker (oui, Sauron, c'est à toi que je parle). Concédons cependant que cela ne gâche pas un plaisir certain, porté surtout par un casting copieux : on retrouve Lee Pace méconnaissable et serpentin, Orlando Bloom vieilli et nonchalant, Aidan Turner "plutôt grand pour un Nain", Richard Armitage inspiré, Evangeline Lilly toujours oubliable... Mais surtout, surtout, Martin Freeman, choix en fait parfait pour le rôle, auquel il sait apporter, sans en délaisser le côté un peu sombre, une légèreté inattendue et salvatrice.



lundi 16 décembre 2013

"Casse-Tête Chinois", Cédric Klapisch

Ben oui, on a tous vu "L'Auberge Espagnole", puis "Les Poupées Russes". Schématiquement, le premier symbolisait la folie joyeuse de la vingtaine, le second le réveil soudain de la trentaine. La boucle est bouclée, sans doute, avec "Casse-Tête Chinois" qui vient achever la trilogie par la complexité évidente de la quarantaine.


On retrouve donc Xavier, le désormais irrésistible Duris à qui on pardonne ses quelques accès de surjeu, comme on recroiserait une connaissance du lycée : on n'était pas si proches et pourtant on est super contents de se demander des nouvelles. En ce qui le concerne, "c'est compliqué" : il vient de se séparer de Wendy (magnifique Kelly Reilly) qui part refaire sa vie à New York avec leurs deux enfants, qu'il décide de suivre... L'occasion d'emménager temporairement chez Isabelle, campée par Cécile de France que l'on redécouvre avec plaisir dans un rôle affiné auquel elle sait apporter la maturité nécessaire, et à qui il a accepté de donner son sperme pour une insémination artificielle (la PMA, elle est à nous...). Et pour compléter le tableau, beaucoup de péripéties loufoques, parmi lesquelles Audrey Tautou revient dans le rôle de cette Martine mal définie qui ne lui a jamais vraiment convenu, mais qu'elle semble attraper juste à temps.


Les retrouvailles ne s'arrêtent pas là : Klapisch lui-même reprend sa recette habituelle. New York lui offre l'écrin cinématographique éternel, dont il sait profiter par une réalisation claire et aussi foisonnante que son histoire. Celle-ci, encore une fois, part dans tous les sens et finit par se redresser en quelques considérations philosophiques simples mais efficaces. Dans l'entre-deux, s'enchaînent des gags pas toujours bien sentis, d'autres plus réussis, des erreurs, des quiproquos, des pauses, des absurdités et une myriade de clins d’œil. Le niveau - et c'est surprenant - est en fait similaire à celui des deux premiers volumes, dont il vient finaliser le propos avec une évidence insoupçonnée : c'est-à-dire que le film est un peu foutraque, pas toujours creusé mais globalement agréable.


On reconnaîtra à ce "Casse-tête chinois" une résolution assez inattendue quoi que facile avec le recul ; mais elle marquera surtout pour le changement de perspective qu'elle introduit soudain sur tout ce que le film disait jusque là. Cette acceptation pure et simple du casse-tête, cette décision que ce n'est pas si grave. Klapisch, qui semble extatique à l'idée de retrouver toute son équipe, ne peut s'empêcher d'ajouter une dernière séquence de flash-backs et de conclure par une réplique niaiseuse ; on préfèrera s'en tenir à la première fin, bien plus réussie dans cette dualité entre fiction et réalité qui intéresse. Au final, on retiendra ce qu'on voudra de la gentille trilogie de Klapisch : peut-être bien le portrait d'un grand gamin qui avait peur de grandir mais qui, tout à coup, se rend compte qu'il l'a fait sans s'en rendre compte, et dont les mini-révélations successives sont simples mais suffisantes. Et peut-être nécessaires ?